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échec ! Mais Beccafumi joignait à cette absurde audace ce surcroît d’ambition de vouloir s’exprimer avec les ressources nouvelles de la peinture à l’huile, cet art des raccourcis, des savantes ellipses, des motifs tour à tour plongés et retirés des ombres, et de multiplier par les jeux de la lumière les effets du tableau. Dans une école accoutumée à la pratique beaucoup plus simple de la fresque ou de la détrempe, et qui se servait en couleurs de la gamme irréelle nécessitée par l’intervention métallique de l’or, une pareille tentative était fatalement condamnée. Ce peintre offre un cruel exemple de talens pervertis. Il avait un dessin vulgaire, mais puissant : il passa une moitié de sa vie à le volatiliser dans des essais de clair-obscur, et l’autre à le gaspiller en cartons de graffites pour ce fameux pavé du Dôme, qui passe pour la merveille de Sienne, et n’en est que la plus indiscutable erreur.

Un seul homme, de bien moindre envergure que Sodoma, d’ailleurs beaucoup plus grand architecte que peintre, réussit, à force de mesure et de goût, à donner une expression pure de la Renaissance siennoise. C’est Baldassare Peruzzi, artiste froid mais élégant, ingénieux sans grandes pensées, et agréable sans profondeur. On trouve à l’Exposition une de ses rares toiles. Mais rien ne donne de lui une plus haute idée que ses fresques de la Farnésine où il a su tenir discrètement sa place à côté de Raphaël. Il ne manque pas ensuite de peintres nés à Sienne, mais c’en est fait depuis longtemps de la peinture siennoise. Désormais l’origine d’un artiste peut être regardée comme un hasard indifférent. A l’exception des peintres fortunés qui naîtront à Venise, l’artiste n’a plus de patrie, il n’a que son âge et sa date sur un état civil international. Rutilio Manetti, dont on voit plusieurs toiles excellentes à l’Exposition, est un homme qui fait honneur à sa ville natale. C’est un élève considérable de Caravage et de Spagnoletto. Mais il n’a pas reçu le baptême d’autrefois, où le génie de la cité tenait le nouveau-né sur les fonts, et où l’enfant avait pour marraines toutes les traditions d’une race.


C’est ainsi que mourut cette école de poètes, qui, quelques siècles plus tôt, avec les Duccio, les Simone di Martino, les deux Lorenzetti, s’était élevée au premier rang de l’Italie. Elle n’eut que le malheur, qui est aussi une gloire, de s’y élever la