Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/421

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comprendre, non par leur faute, mais à cause de la façon de sentir et de parler propres à l’esprit populaire, ils se méprendraient. Ils sont de la même nature que les ouvriers ; et le peuple a peut-être pour lui de mieux personnifier ou de mieux mettre en évidence les profonds instincts de la nature. C’est dans cette direction qu’il faut tendre, quand on veut ressaisir tout son être et embrasser pleinement l’idée d’humanité. Les savans y gagnent de se rappeler qu’ils ne sont pas seuls sur la terre et que leurs théories, leurs expériences, et leurs critiques reposent sur un fond qui appartient aussi à tant d’individus très dissemblables d’eux selon les apparences, mais selon les apparences seulement. Il est arrivé plus d’une fois qu’un ouvrier redressât les combinaisons des théoriciens et imposât des leçons à des gens qui avaient complètement perdu l’habitude d’en recevoir. Et lorsque, sans cesser de « mettre la main à la pâte, » il cultive son esprit et s’approvisionne d’exactes notions scientifiques, il peut acquérir un sens général qui lui permet de voir clair, là où les simples théoriciens s’embrouillent.

Ajoutons que le débat roule sur des idées dont les noms sont. familiers à toutes les catégories de citoyens : raison, devoir, conscience, nature. Que ce soit une folle prétention de vouloir analyser et formuler intégralement le contenu de ces idées-là, d’accord ; mais il ne saurait non plus suffire de les désigner avec emphase, ni d’en faire le sujet d’interminables amplifications, ni d’écrire les quatre mots avec des majuscules.

On a besoin de discerner d’où vient la raison répandue dans le monde.

De même pour le devoir, que nul homme ne peut imposer à d’autres hommes ; et ceci, qui paraît parfaitement clair perce qu’en est accoutumé de l’entendre dire et parce qu’on n’y pense pas, ceci mériterait bien d’être examiné.

La conscience ?… Elle est invoquée et glorifiée à tout propos, comme une autorité qui défierait le blasphème ; et toutefois c’est l’autorité dont le fonctionnement et les titres sont le moins connus. Innombrables sont les livres où elle occupe une place d’honneur ; mais ceux, de notre temps, qui étudient la structure et l’origine de la conscience, ceux-là se comptent sur les doigts. On nous parle d’elle surabondamment, et presque personne ne prend soin de dire ce qu’elle est, ni même de se le demander.

Et la nature, à son tour ?…. Elle explique tout ; et rien ne