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l’explique. Ce serait donc un mystère ? Et alors le mystère ne. serait nullement dissipé, et il continuerait de servir de soutien et d’aliment au vaste ensemble des choses rationnelles. Et sana doute il n’aurait rien d’absurde, puisqu’il a produit la raison.

Ainsi, chaque recherche un peu attentive nous amène à regarder au-dessus de l’humanité, au-dessus de notre monde. Si nous ne voulons pas lever la tête, nous n’apercevons plus qu’un chaos, ou plutôt le néant.

Des esprits modérés s’effarouchent d’entendre affirmer que Dieu est, à ce point, inévitable. Ils pourraient du moins écouter la voix des passionnés en révolte, qui appellent Dieu l’universel envahisseur.

Devant la Chambre, M. Jaurès a déclaré que l’homme doit se poser en égal de Dieu : « Si Dieu lui-même se dressait devant les multitudes, sous une forme palpable, le premier devoir de l’homme serait de lui refuser l’obéissance et de le considérer comme l’égal avec qui l’on discute, non comme le maître que l’on subit… Voilà en quoi consiste la beauté de notre enseignement laïque. » Un instant après, il augmentait encore les prérogatives de notre raison, et il s’écriait : « Toute vérité qui ne vient pas de nous est un mensonge[1]. » Ce qui est une bizarre affirmation, de la part de gens qui ne savent pas d’où ils viennent. La majorité en éprouva un vertige d’enthousiasme. Des congrès anticléricaux, le dernier congrès de Genève entre autres, ont prononcé la déchéance de Dieu, décidément remplacé par l’homme. Un professeur d’école normale vient d’écrire un volume pour persuader les instituteurs d’enseigner la Bible, mais à rebours, et de prêcher l’antique promesse trompeuse : « L’homme, nourri des fruits de l’arbre de la science du bien et du mal, est semblable à Dieu. » Et eritis sicut Dii : le triomphe de la libre pensée la ramène au commencement de la révélation. Mais un autre professeur, ou un autre congrès nous expliqueront-ils un jour ce que c’est que ce Dieu auquel, en l’insultant, on prétend « ressembler », et comment on discute « comme avec, un égal » avec ce qui n’existe pas ?


EUGENE TAVERNIER.

  1. Discours prononcé à la Chambre, le 11 février 1895.