Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/430

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

envoya dans ce couvent une foule de soldats des hétairies barbares, soldats russes et bulgares, avec ordre de tuer secrètement le patriarche. Les mercenaires partirent de nuit et attaquèrent le monastère, mais le patriarche leur ayant fait distribuer beaucoup d’argent, réussit à s’échapper furtivement et à rentrer en ville, où il fit aussitôt sonner les cloches pour soulever le peuple. Ce très précieux récit confirme deux faits importans, que nous ne pourrions que soupçonner, si nous nous en tenions aux chroniqueurs byzantins : à savoir la participation capitale du patriarche à l’émeute contre Michel V ; et la sympathie profonde des mercenaires russes à l’endroit de la basilissa, en même temps que leur attitude, d’abord louche, puis ouvertement hostile envers le prétendant.

Psellos raconte encore avoir entendu dire par quelques-uns des témoins de ce drame, dont la rapidité avait dépassé toutes les prévisions, que, lorsque le navire qui emportait la pauvre Zoé vers l’île de Prinkipo, distante de quelques milles à peine, eut gagné le large, celle-ci, apercevant au loin dans la brume matinale les bâtimens du Grand Palais Sacré où s’était écoulée toute son existence déjà longue, se souvenant de son père Constantin VIII et de ses glorieux prédécesseurs, basileis des Romains depuis cinq générations, fondit en larmes. Songeant à son oncle, l’illustre basileus Basile, cet homme qui avait rendu de si grands services à l’empire, qui avait brillé entre tous les basileis, elle lui tint ce touchant discours entrecoupé de gémissemens : « O toi, mon oncle et mon souverain, quand je naquis, tu m’enveloppas de les mains dans les langes impériaux, puis tu m’aimas et me comblas de faveurs plus qu’aucune de mes sœurs, parce que je te ressemblais d’une manière frappante, ainsi que je l’ai entendu dire cent fois par ceux qui t’avaient connu dans ta jeunesse. Que de fois en m’embrassant tu m’as dit : « Mon enfant, vis de longues années pour la gloire de notre famille, sois-lui une semence divine et une joie précieuse ! » Tu m’élevais ainsi, rêvant des plus grands projets pour mon heureux avenir. Hélas ! tes espoirs ont été déçus. Car me voici déshonorée et avec moi le nom de tous les miens. Me voici condamnée, comme une vile criminelle, pour un crime infâme que je n’ai point commis ! Me voici chassée par la force du Palais de mes pères, ignorante du lieu où je vais être conduite, ne sachant si je ne vais point être livrée aux bêtes, ou noyée dans ces flots