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commandée par la prudence, avec laquelle elle avait semblé accepter sa longue et cruelle disgrâce, cachait une rancune concentrée, incapable de maîtriser ses sentimens, ordonna au nouveau préfet de la Ville, Kampanaros, qui venait de succéder à l’infortuné Anastase, de se rendre en hâte au couvent du Stoudion, d’en arracher par ruse les deux réfugiés, et de leur faire crever les yeux. C’était là le messager funèbre dont parle Psellos, qui était arrivé au Stoudion dès la tombée de la nuit. La restauration possible du Calaphate par la longanimité de Zoé était, pour Théodora et son parti, un péril tel qu’il fallait à tout prix en finir avec ce criminel. On sait combien à Byzance on avait de faible pour ce supplice affreux de la perte de la vue par perforation, brûlement ou arrachement. Il ne tuait pas, donc il ne mettait pas celui qui avait ordonné le crime en danger de perdre son âme, mais il arrivait à un but identique en paralysant du coup la victime qui devenait un corps sans âme et sans vie. Il n’y avait pas d’exemple dans la sanglante histoire de l’Empire d’Orient, qu’un homme, même de premier ordre, diminué par un tel supplice, fût jamais parvenu à jouer de nouveau un rôle quelconque.

Kampanaros, se dirigeant vers l’autel à travers les rangs pressés des spectateurs, commanda violemment aux deux réfugiés de sortir. Voyant la foule plus acharnée que jamais, épouvantés aussi par le ton de menace du préfet, ils refusèrent de se lever, embrassant avec plus de force les colonnes qui soutenaient l’autel. Alors Kampanaros, modifiant son attitude, leur parla avec une feinte douceur, jurant par les plus saints sermons qu’il ne leur serait fait aucun mal s’ils consentaient à obéir. Eux, pendant ce discours, demeuraient inertes, se répétant sans doute que, s’il fallait subir la mort, mieux valait périr au pied de l’autel que d’être massacrés dans la rue.

Kampanaros, désespérant de réussir, même par la douceur, se résigna à violer le saint lieu. Sur son ordre, on empoigna Michel et le nobilissime qui poussaient des cris affreux. Cramponnés à l’autel, ils invoquaient douloureusement les saintes Icônes, les prenant à témoin de cette impiété. Le spectacle était si poignant que la plupart des assistans commençaient à se sentir émus de pitié. On se disputait violemment dans l’église. Beaucoup cherchaient à obtenir de Kampanaros la promesse qu’on ne tuerait point les malheureux. Ceux qui les entraînaient, ayant promis tout