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ce qu’on voulait, pourvu qu’on les laissât faire, eurent finalement gain de cause. On tira par les pieds jusque sur la place devant l’église le basileus et le nobilissime. Ils y furent accueillis par des vociférations infinies. On les tournait en dérision. On chantait des chants de circonstance, on dansait, on riait autour d’eux. Puis on les jeta chacun sur une misérable mule et on les transporta en cet équipage, à travers les lazzis de cette multitude, au-dessus du couvent de Périblepte, « dans l’endroit appelé Sigma. » C’était un portique du grand Palais Sacré. Sur la route, on rencontra le bourreau envoyé pour leur crever les yeux.

Il fallait se hâter. « Ceux, en effet, dit Psellos, qui étaient du parti de Théodora, connaissaient le caractère terriblement jaloux de Zoé. Ils savaient qu’elle aimerait mieux partager le trône avec un valet d’écurie qu’avec sa sœur. » Bref, ils redoutaient, je l’ai dit, un retour imprévu, et que, par la volonté de la vieille basilissa, Michel ne parvînt à remonter sur le trône. A tout prix, il fallait en finir avec celui-ci. On décida de passer outre aux protestations d’une partie de la foule, mais, par un sentiment de pitié, on convint de s’en tenir aux ordres de Théodora, de ne point tuer les deux princes, et seulement de leur crever les yeux.

Une fois les victimes amenées sur la place du Sigma, on fit aiguiser les fers. « Quand l’oncle et le neveu virent qu’il n’y avait plus d’espoir, dit Psellos, une partie du public étant contre eux. les autres laissant faire, ils pensèrent rendre l’âme de peur, demeurant sans voix. Un sénateur qui se trouvait parmi les spectateurs s’efforça par de bonnes paroles de leur rendre quelque courage. » Psellos, qui avait suivi le tumultueux cortège, assista à la fin du drame. Le basileus eut une attitude infiniment piteuse, gémissant, se lamentant, invoquant tous ceux qui l’approchaient, suppliant humblement Dieu de ses mains jointes, les étendant vers toutes les églises, vers tout ce qu’il apercevait. Skylitzès dit qu’il supplia lâchement qu’on aveuglât d’abord son oncle qui, suivant lui, était le seul vrai coupable. Le nobilissime, au contraire, après avoir, lui aussi, montré quelque pusillanimité, quand il vit qu’il n’y avait plus de salut à espérer, se ressaisit tout à fait. Etant d’âme autrement virile que son neveu, il sembla prendre soudain bravement son parti de l’horrible sort qui l’attendait. A l’approche des bourreaux il s’offrit de lui-même. Comme la foule, avide de contempler son supplice, l’étouffait