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premier, réclamé la liberté du prisonnier, conduit une députation au général, a été malmené par les soldats de garde à l’état-major. Crémieux accusateur de celui qui « a exposé sa vie pour le sauver » semble n’emporter de sa tentative que la honte d’une trop prompte ingratitude.

Néanmoins sa démarche n’avait pas été vaine. Elle signifiait à tous qu’une faction extrême refusait de signer au pacte conclu par les autres révolutionnaires ; qu’un chef, absent et oublié lors de l’entente, était à l’affût des circonstances, pour dénoncer comme suspects les meneurs moins intraitables. Elle rappelait aux hommes soucieux de popularité le péril d’être courageux et sages. Elle renouvelait la puissance de fascination que les démagogues exercent, même quand ils semblent vaincus, car elle trouble, attire et paralyse même ceux qui leur résistent.

Nul n’était plus attentif à cet avertissement que le Comité de Salut Public. Pour vaincre, ce jour-là et pour longtemps, le désordre, il suffirait que ses membres fussent, à la Préfecture, fermes contre les envahisseurs, comme le Conseil venait de l’être contre Crémieux, et qu’associant leur effort à celui du Conseil pour une organisation immédiate de la garde nationale, ils partageassent entre des compagnies prises dans tous les quartiers la surveillance de la Préfecture. Mais, si tel eût été leur dessein, ils n’avaient qu’à ne pas s’établir en autorité rivale du Conseil choisi par la ville, et républicain. Contre lui, ils avaient voulu défendre non la République, mais une république, et ce n’était par la modérée. Confier Marseille à la garde nationale était remettre l’influence aux opinions moyennes ; à peine créée, cette force ferait sortir d’elle des hommes à son image, éliminerait, comme des élémens étrangers et suspects, les révolutionnaires : en aidant à la former, ils travailleraient contre eux-mêmes. Les adoptât-elle pour chefs, ce serait en les faisant servir sa cause, et leur crédit serait la récompense de leur défection. Contre cette défection se soulevait la spontanéité de leurs instincts ; sans expérience ni savoir, ils aspiraient, par un désir vague et violent, à mettre en bas ce qui était en haut. Parce que ce sentiment était sincère en eux, ils tenaient à honneur de lui rester fidèles, et parce qu’il n’avait trouvé ni dans la réflexion ni dans l’étude son expression précise et ses limites, ils se seraient crus séparés du peuple, s’ils ne fussent restés unis à la partie la plus révolutionnaire de ce peuple. La pente naturelle de