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est plus fondamentale que l’union, oublient que les êtres vivans doivent d’abord vivre ; et que, pour vivre, il faut qu’ils soient nés, et nés de parens qui, sans doute, n’ont pas eu pour tâche ou pour instinct de lutter avec eux, ni de les dévorer. Les liens de parenté sont antérieurs à tous les conflits entre individus et à tous les conflits entre espèces. Est-ce donc la lutte proprement dite qui propage l’espèce, ou ne serait-ce pas plutôt l’amour ? Est-ce par un mouvement de haine, et par un combat mutuel, que l’homme et la femme s’unissent pour assurer la perpétuité de l’espèce ? Le champ de la compétition n’embrasse pas le champ de la famille. Ici les plus faibles, au lieu d’être sacrifiés, sont protégés par les plus forts, qui vont jusqu’à se sacrifier pour eux. La mère, le père et les enfans ne luttent pas les uns contre les autres pour la vie, mais luttent ensemble pour la vie. Tout communiste qui veut détruire la famille ne voit pas qu’il supprime ce premier et typique fondement de l’union entre les hommes.

La plupart des naturalistes ont reconnu dans l’attraction des forts pour les faibles, une des lois les plus importantes de la vie animale. Spencer va jusqu’à regarder la tendresse pour les faibles comme la source de l’amour maternel, ce qui est exagéré. Bain reconnaît non sans profondeur que l’attraction pour les faibles n’est pas seulement inhérente à l’état grégaire, mais qu’elle est essentielle à tout système social. Enfin Darwin lui-même a bien vu l’importance de ce sentiment. L’amour des faibles est une des grandes forces sociales. Première preuve de ce qu’il y a de faux dans les conséquences brutales tirées du darwinisme pour l’humanité. La prolongation de l’enfance chez l’espèce humaine, surtout chez les races humaines supérieures, est ce qui rend l’éducation à la fois nécessaire et possible ; or, l’éducation n’a rien qui rappelle la lutte ; elle n’est pas une « ruse de guerre ; » le rapport entre les éducateurs et ceux qu’ils élèvent est un rapport de mutuelle sympathie, d’aide et d’exemple chez les uns, d’imitation chez les autres. Cette imitation réciproque a pour but l’union.

Si maintenant, sortant de la famille, nous considérons les relations entre êtres semblables, rapprochés en hordes ou classes, nous ne voyons nullement que l’action de l’homme sur l’homme commence, ainsi que l’a soutenu M. Giddings avec M. Gumplowicz, par un conflit. Tout au contraire, ce que les similitudes engendrent à l’origine, ce sont des sympathies et synergies, non