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c’est la taille qui grossit ou diminue, etc. De plus, ces modifications ne s’étendent généralement pas au delà de son corps. Chez l’homme, à côté de ce même genre d’adaptation, il y en a un autre, qui est surtout psychologique. En outre, l’adaptation n’est plus seulement intérieure à l’organisme humain : elle imprime des modifications artificielles à la nature extérieure ; elle produit des appareils et instrumens séparés du corps, accumulables indéfiniment, comme sont aussi accumulables les produits mêmes de l’industrie humaine. Le but final de ces nouveaux organes, sorte de prolongement à l’extérieur, est de donner à l’homme et aux sociétés plus de puissance et de sécurité. En d’autres termes, il y a adaptation intentionnelle de la nature à l’homme par le moyen d’idées-forces incorporées dans des instrumens. Selon la remarque de Wallace, l’homme, en inventant par son intelligence vêtemens et outils, a enlevé à la nature la puissance de modifier sa forme et sa structure, comme elle modifie celles des animaux. Les animaux sont obligés de s’adapter organiquement au milieu ; l’homme, sans changer sa propre constitution, s’adapte le milieu par le moyen de l’intelligence. Or, sans la sociabilité, l’intelligence de l’homme n’aurait pu se développer. C’est donc par ses instincts sociaux et par ses instincts intellectuels, qui sont inséparables, que l’homme a dominé la nature extérieure et commencé de faire échec à la sélection naturelle.

Un autre rapport essentiellement humain avec la nature extérieure consiste dans la production économique. L’animal, lui, n’est que très rarement et très exceptionnellement producteur ; l’abeille fabrique sans doute du miel, mais combien peu d’animaux ressemblent à l’abeille ! La plupart doivent, pour satisfaire leur faim, s’emparer des produits tout faits de la nature ; comme ces produits sont en quantité limitée, il en résulte, entre les animaux, concurrence et lutte. Mais un être, capable d’inventer et de produire, ne saurait plus être entraîné par la même loi de violence, sous l’impulsion de la faim ou de l’instinct sexuel ; il est dirigé par des idées-forces dont ses productions, comme nous venons de le voir, sont la réalisation en objets extérieurs. L’animal étant surtout consommateur, la part qu’il consomme diminue la possibilité de consommation pour les autres. L’homme étant surtout producteur, est capable d’étendre sans cesse sa production au delà de ses besoins. On voit se développer de plus en plus un état social où chacun peut consommer sans toujours