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ou renforce des accords bien plus que des conflits ; en outre, elle joue sa partie dans le conflit même, et change la lutte en moyen de « socialisation. » Selon la remarque de Giddings, quand deux hommes se battent, chacun d’eux copie instinctivement les coups de l’autre ; si deux armées guerroient, chacune répète les manœuvres de l’autre. Jusque dans le conflit, les individus apprennent à se reconnaître et à prendre conscience de leurs similarités, ce qui entraîne une « conscience d’espèce, » et par cela même, dirons-nous, l’union sous une même idée commune, d’où dérivera nécessairement une sympathie commune. Il s’établit donc, entre ceux mêmes qui luttent, une imitation mutuelle, qui peu à peu diminue les différences au profit des ressemblances, et peut préparer, pour plus tard, des accords de sensibilités ou sympathies, des accords de volontés ou synergies. La concurrence est de même une imitation mutuelle, avec l’intention de faire mieux, et cette sorte de succédané de la lutte est aussi une forme d’union. Le darwinisme social voit une partie de la vérité et méconnaît l’autre.


IV


La grande loi sur laquelle insistent les darwinistes est celle de l’adaptation. Mais, remarquons-le d’abord, l’effort d’ajustement au milieu n’implique pas nécessairement et partout lutte contre le milieu : il implique aussi coopération avec le milieu. Du côté de l’individu qui veut s’ajuster, l’effort peut entraîner, sans doute, une certaine lutte contre soi, contre telles ou telles tendances, contre le plaisir du moment ; mais il suppose aussi un établissement d’harmonie dans l’être même, dans ses tendances, dans les différens momens de son existence. Là encore, il y a deux côtés, l’un négatif, l’autre positif ; l’un d’opposition, l’autre de composition ou de conciliation. Le résultat final de toute cette série d’efforts sur soi et sur le milieu, c’est la survivance des mieux « adaptés, » c’est-à-dire des mieux en accord avec le milieu naturel ou artificiel ; — résultat bienfaisant, qui ne rentre plus sous l’idée de guerre, mais sous l’idée de paix.

L’être humain doit s’adapter d’abord au milieu naturel, puis au milieu social. Chez l’animal inférieur à l’homme, l’adaptation au milieu naturel ne s’accomplit que par l’effet de modifications physiologiques ; c’est une nageoire ou une aile qui se développe ;