Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/588

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas non plus embelli. Nous pouvons, là-dessus, en croire Mademoiselle. Au plus fort de sa passion, voici comment elle dépeignait Lauzun à Mme de Noailles : « C’est un petit homme ; personne ne saurait dire qu’il n’ait pas la taille la plus droite, la plus jolie et la plus agréable. Les jambes sont belles ; un bon air à tout ce qu’il fait ; peu de cheveux, blonds mais fort mêlés de gris, mal peignés et souvent gras ; de beaux yeux bleus, mais quasi toujours rouges ; un air fin ; une jolie mine. Son sourire plaît. Le bout du nez pointu, rouge ; quelque chose d’élevé dans la physionomie ; fort négligé ; quand il lui plaît d’être ajusté, il est fort bien. Voilà l’homme. » Ce n’est pas séduisant ; il n’y avait pas de quoi le mettre aux enchères. On murmurait qu’il avait des secrets pour se faire aimer.

« Pour son humeur et ses manières, continuait Mademoiselle, je défie de les connaître, de les dire ni de les copier. » Le monde n’était pas entièrement de cet avis. Il croyait savoir, tout au moins, que M. de Lauzun était « le plus insolent petit homme qu’on eût vu depuis un siècle[1], » et le plus malicieux. On citait de lui bien des traits sanglans, et l’on connaissait sa façon de pirouetter sur ses talons et de plonger dans la foule, avant que sa victime eût recouvré ses esprits. Le monde avait aussi la certitude que le favori était un intrigant. Lauzun machinait toujours quelque chose, fût-ce contre des indifférens : cela lui faisait la main. Pour le reste, Mademoiselle avait raison : on s’y perdait.

Il avait beaucoup d’esprit. On se répétait ses mots, par exemple sa réponse à une femme de ministre, qui lui disait assez sottement, pour faire valoir la peine que se donnait son mari : « Il n’y en a point de plus embarrassés que celui qui tient la queue de la poêle, n’est-il pas vrai ? — Pardonnez-moi, madame, ce sont ceux qui sont dedans. » Mais il aimait à faire l’imbécile et à débiter d’un ton niais des choses n’ayant aucun sens ; il s’abandonnait à ce goût singulier, même devant le Roi. Le contraste n’était pas moins grand entre ses prétentions à avoir grand air, son désir d’en imposer, et l’habitude de se composer des accoutremens grotesques, pour voir si quelqu’un oserait rire de M. de Lauzun. On le trouvait chez lui en robe de chambre et grande perruque, son manteau par-dessus sa robe

  1. Mémoires et Réflexions du marquis de La Fare.