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commentaire, ce sont encore tes ouvriers qui l’ont rendu indispensable. Pourquoi ? parce qu’ils ont violé le contrat, comme l’arbitre l’a reconnu, et qu’ils entendent le violer encore. Ces violations incessantes du contrat de 1903 ne sont pas autre chose que le commentaire qu’ils en font eux-mêmes, et auquel il a bien fallu en substituer un autre. Si le mot n’était pas trop faible pour la situation à laquelle il s’applique, nous dirions que les ouvriers de Marseille sont des enfans gâtés. On leur a tout permis ; on les a habitués à tout se permettre : il en résulte chez eux une étrange facilité à l’irritation, à l’emportement, à la violence qui éclate à la moindre résistance qu’ils rencontrent. Les lois, ils s’en moquent ; les contrats, ils y manquent ; leur parole, ils la donnent et la reprennent, sans bien se rendre compte peut-être de l’énormité du procédé. Il faut qu’on leur cède, qu’on leur obéisse, qu’on se soumette à leur volonté toujours fertile en exigences nouvelles. Le malheur est qu’aucune industrie n’est possible dans de pareilles conditions.

Il y a des grèves ailleurs qu’en France, et en France, même ailleurs qu’à Marseille ; mais elles n’ont nulle part ailleurs le même caractère, ni la même durée. Il vient d’y en avoir plusieurs en Italie : elles ont amené des désordres qui ont été réprimés avec une rigueur dont notre bonne fortune nous a épargné la douloureuse obligation. Il y en a eu une à Gênes, la rivale de Marseille : elle y a duré deux jours. Pourquoi est-ce seulement à Marseille que le phénomène se maintient, en quelque sorte à l’état permanent, et se manifeste avec une aggravation constante ? Ne serait-ce pas parce que les ouvriers marseillais ont l’impression que le gouvernement est avec eux et que, quoi qu’ils fassent, ils n’épuiseront pas sa patience ? M. Combes leur sourit ; M. Pelletan les encourage ; M. Trouillot, sans trop se risquer, manifeste de temps en temps en leur faveur. M. Jaurès leur donne des conseils qu’ils ne suivent pas, mais il en donne aussi au gouvernement qui s’empresse de s’y conformer. Là est la cause principale du mal. Elle n’est pas à Marseille ; à Marseille, on n’en voit que l’effet. L’état des esprits y est absolument révolutionnaire. La tranquillité extérieure se maintient, mais sera-ce pour longtemps ? Les ouvriers restent calmes, parce qu’ils ont confiance dans le gouvernement pour assurer leur triomphe, final. Qu’arriverait-il le jour où cette dangereuse espérance viendrait à se dissiper ? Voilà un mois que la grève se prolonge, et, jusqu’ici, toutes les étapes en ont été marquées par une déception. Combien de semaines encore les choses pourront-elles durer ainsi ?