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Faut-il parler du Congrès que les libres penseurs viennent de tenir à Rome ?

Après avoir dit qu’il s’est tenu à Rome, on en a tout dit : ailleurs, il n’aurait eu aucun intérêt. M. Berthelot n’y est pas allé : il s’est contenté de lui donner une adhésion publique par une lettre où il approuve l’idée même de cette grande réunion et le choix de la ville où elle a eu lieu. « La réunion du Congrès de la Libre Pensée à Rome, a-t-il dit, est un signe des temps. » Sans doute, mais on peut l’entendre dans des sens très différens. M. Berthelot a indiqué tout de suite le sien. « Rome, écrit-il, a été le centre de l’oppression de la science et de la pensée, pendant plus de quinze cents ans. C’était bien là le puits de l’abîme, annoncé par l’Apocalypse, d’où sortaient les vapeurs empestées de la superstition, du fanatisme et de l’inquisition, soulevées par la théocratie. » Ces expressions sont bien imagées. Mais, à les supposer exactes, elles ne l’ont pas été pendant quinze cents ans de suite, au moins d’une manière absolue, puisque M. Berthelot écrit un peu plus loin : « Quels qu’aient été les crimes de la théocratie, nous ne saurions (méconnaître les bienfaits que la culture chrétienne a répandus autrefois sur le monde. Elle a représenté une phase de la civilisation, un stade aujourd’hui dépassé, au cours de l’évolution progressive de l’humanité. » M. Berthelot proteste d’ailleurs contre toute idée que les libres penseurs pourraient à leur tour opprimer ceux qui les ont opprimés autrefois ; il parle éloquemment de tolérance et de liberté, et il recommande à ses amis de conserver « toujours la sérénité bienveillante qui convient, dit-il, à notre amour sincère de la justice et de la vérité. » Lecture de cette lettre a été donnée au Congrès qui n’a pas manqué de l’applaudir. Nous ne sommes pas sûrs toutefois qu’il fait approuvée d’un bout à l’autre : en tout cas, il ne s’en est pas constamment inspiré.

Mais M. Berthelot croit-il lui-même que le choix de la ville de Rome, surtout dans les circonstances actuelles, ait été inspiré par la « sérénité bienveillante » qu’il recommande en termes si pressans ? Il nous semble, au contraire, qu’il y a dans ce choix une intention évidente de lutte, de bataille, de polémique véhémente qui n’est pas celle de l’illustre savant. M. Buisson nous apprend à son tour que plus d’un congressiste, — français bien entendu, — n’a pas pu s’abstenir de crier dans les rues de Rome : « Hou ! hou ! la calotte ! » lorsqu’il voyait passer un prêtre ou qu’il passait lui-même devant une église ; mais il a constaté que ces manifestations de mauvais goût ne rencontraient pas « le moindre écho, même au milieu des quartiers populaires,