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en vers français. Ni l’enthousiasme de l’inspiration, ni la perfection de la forme, — et en admettant qu’on puisse en notre langue la distinguer de la solidité du fond, — n’autoriseront le poète à manquer de bon sens ; et ce sera plutôt en prose qu’à l’imitation de Rabelais, nous dirons nos pires folies. C’est à Ronsard que revient l’honneur d’avoir déterminé en ce sens l’orientation de notre poésie, et à Ronsard auteur des Discours des Misères de ce temps.

On s’explique donc aisément qu’étant tout ce que nous venons de dire, et tout ce que l’on vient de voir, les Discours, bien loin d’ébranler la royauté littéraire de Ronsard, l’aient au contraire affermie. Elle va maintenant s’exercer sans conteste, et même sans contrôle. Satisfait, au surplus, d’avoir une fois exprimé sa pensée tout entière, et d’être finalement sorti victorieux d’une lutte où il avait hasardé sa réputation et sa sécurité, le poète va maintenant retourner à ses studieux loisirs. C’est une période nouvelle qui commence dans l’histoire de son œuvre, et non pas la moins féconde, si peut-être elle n’en est pas la plus originale. Elle s’étend de 1564 à 1585, et elle comprend, avec une grande partie de ses Poèmes et de ses Élégies, la Franciade, le Bocage royal et les deux livres de Sonnets pour Hélène.


III

Mais, ici encore, l’embarras est grand de se reconnaître, au milieu de cette abondance de production ; et, si nous avons pu dire du recueil des Hymnes qu’il était celui des recueils de Ronsard dont la composition a le moins varié, c’est le contraire qu’il faut dire du recueil de ses Élégies, de celui de ses Poèmes, et de son Bocage royal[1]. D’édition en édition, telle pièce a voyagé de l’un à l’autre de ces trois recueils, ou encore à un quatrième, comme par exemple les hymnes de l’Hiver, du Printemps, de l’Eté, de l’Automne. Les sept livres originaux de Poèmes se sont réduits finalement à deux dans l’in-folio de 1584. Enfin, ici encore, les variantes ne sont pas moins nombreuses que les transpositions ; et, de là, des difficultés qui rendraient presque impossible une étude successive des vingt dernières années du génie de Ronsard, si quelques dates suffisamment assurées ne nous

  1. Voyez ci-dessus, p. 754, ce que nous avons dit du Bocage royal, et des deux Bocage qui l’ont précédé en 1554 et 1550.