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Te dirai-je la Ville et la place publique,
Et ma tristesse errante aux âtres étrangers,
Et les noirs ciels d’hiver sur la tuile et la brique,
Et la neige si lourde aux flocons si légers ?

Toi, d’argile construite et couverte de paille,
Humble, que penses-tu des palais de là-bas
En l’avare Cité où la haute muraille
Enferme les vivans dans le bruit de leurs pas ?

Si j’ai vécu sa vie orgueilleuse et captive,
Pardonne-moi, voici que je suis revenu
Vers la vigne qu’Avril a faite verte et vive
Et qui rit au soleil en feu dans le ciel nu !

J’ouvrirai la fenêtre à l’odeur des prairies
Et j’ouvrirai la porte au vent qui vient des bois,
Et les arbres féconds et les treilles mûries
Porteront la grappe et le fruit comme autrefois ;

Et, lorsque reviendra l’automne inévitable,
Je ne reprendrai plus la laine du manteau
Ni la sandale dure et qui fait sur le sable
Crier l’ingrat adieu de son départ nouveau.

Garde-moi dans ta paix et dans ta solitude
Et, maintenant, je suis ton hôte pour toujours,
Je ne redoute plus l’hiver farouche et rude
Où l’ombre qui s’accroît est inégale au jour.

Car ta vigne, ô Maison, attire les abeilles,
Leur vol déjà bourdonne et la ruche bruit,
Et ce sont elles qui fourniront à mes veilles
Le flambeau dont la flamme éclairera ma nuit.

Sur la cire fidèle, obéissante et douce,
J’inscrirai ma pensée, heureux si, des mots vains
Que trace le roseau et qu’efface le pouce,
Naît le Vers, éternel parce qu’il est divin.