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la blanche cité. Mais, voyez ! n’est-ce pas l’aurore boréale qui perce l’ombre ? Cela commence dans la direction de Puk-Han ; le ciel soudain s’embrase ; des clartés rouges luisent et s’avivent ; ce sont bientôt des flammes, comme si des centaines de torches illuminaient l’atmosphère.

Une autre surprise m’attendait, qui va compléter en les dépassant tous les étranges spectacles de la journée : un cortège aux flambeaux, tel que je n’en ai jamais vu jusqu’ici. Des piétons, des chaises à porteurs, des cavaliers s’avancent en file interminable. Quelle pompe est celle-là ? Quel saisissant ensemble ! Les plus petits détails révèlent un goût d’artiste et les moindres objets sont merveilleusement groupés pour rehausser l’effet général. La procession est conduite par des enfans habillés de blanc de la tête aux pieds, avec des coiffures en forme de cloches. Puis viennent des porteurs de torches et de bannières, des serviteurs qui promènent des inscriptions au bout de longues perches, d’autres qui balancent des lanternes. Derrière ce groupe, un autre où l’on brûle des nattes de paille. Enfin une section de cavaliers dont huit sont entièrement couverts de manteaux blancs. On les prendrait pour des fantômes, n’était qu’ils gémissent amèrement : ce sont des pleureurs à gages pareils aux pleureuses de l’ancienne Rome. J’ai sous les yeux un enterrement indigène. Un membre de la famille des Min est conduit à sa dernière demeure. Il descend d’un clan fameux et il est parent de la jeune impératrice de Corée ; aussi lui décerne-t-on une pompe royale. Le cortège funèbre a vraiment grand air, quoique tous les vêtemens soient simplement de toile écrue. Les décors sont pour la plupart en papier, mais l’arrangement est si heureux et de lignes si parfaites que nous négligeons les détails et admirons seulement l’effet général. Le groupe des pleureuses est suivi de monstres, habillés comme les gnomes qui peuplent les fables et portant des masques rouges, jaunes, verts et bleus, la tête ornée de cornes, de crêtes de coq et de couronnes. L’aspect d’ensemble inspire la terreur. De nombreux groupes suivent, qui s’avancent majestueusement et disparaissent lentement dans l’obscurité de la nuit.

Je ne sais pas combien dure la procession ; mais il a dû défiler quelques milliers de personnes avant que les deux catafalques dorés fissent leur apparition. Tous deux sont pareils et ressemblent à des pagodes monumentales, découpées de pignons,