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A UN PORTRAIT


Lorsque sur le papier que le pastel colore
Le peintre a figuré votre visage frais,
Vous aviez l’âge heureux qui ne sait pas encore
Ce que cache la vie en ses obscurs secrets.

Sur vos cheveux plus blonds d’une poudre légère
Votre bonnet de tulle est noué d’un ruban
Si bleu, qu’on lui dirait la couleur mensongère
Que montre l’avenir à vos regards d’enfant ;

Car vos yeux, votre bouche et tout votre visage,
Où du fard à la joue en avive le teint,
Ont un air innocent, mystérieux et sage,
Et comme une douceur d’avril et de matin.

Brève aurore ! le ciel se couvre et l’éclair brille :
La fleur prête à s’ouvrir périt en son bouton !
Et je sais seulement que vous mourûtes fille
Et que des grands-parens m’avaient dit votre nom.

Bien longtemps au mur nu de ma chambre d’étude,
Ce portrait familier, timide et gracieux,
Veilla sur ma pensée et sur ma solitude,
Mais son tendre regard n’attirait pas mes yeux ;

Et maintenant qu’en moi, si doux à ma tristesse,
Est né le goût amer des choses sans retour,
J’aime votre muette et lointaine jeunesse
Qui survit à la mienne et qui dure toujours ;

Et souvent, à ce cadre où votre claire image
Sourit toujours la même en son même matin,
Je suspends pour offrande et j’offre pour hommage
Une rose pareille aux roses du jardin,