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du Maître lui-même, seront vides. Et l’art de la « bonne demeure » n’intéresse plus que la vanité des vivans, non le repos des morts.

Aussi, le chrétien des premiers âges ne songea pas plus à effacer le décor païen de la tombe où il allait entrer, mort, que celui de la maison où il avait demeuré vivant. Il prenait un débris de statue colossale antique et creusait là-dedans la tombe de son enfant. Les symboles anciens l’entouraient sans qu’il y prît garde, ou bien, peu à peu, il versait dans ces mêmes formes un esprit nouveau. Ainsi, pendant très longtemps, les figures vivantes du mort et de son épouse, l’un tenant son volumen à la main, l’autre le bout de son voile, ont paru sur les sarcophages chrétiens, comme sur les autres, entourées de génies ou d’attributs nobles, mais équivoques. Et si le défunt est représenté par cette figure, debout, les bras écartés en croix, priant, qu’on appelle l’orante, c’est encore une figure bien vivante. Tant que l’art antique a régné, ou n’en a pas vu d’autres sur son tombeau.

Quand renaît la sculpture, au moyen âge, sous la main de Jean de Pise, le mort se couche, et non plus comme sur les terres cuites étrusques, vivant et radieux dans ses parures multicolores, mais endormi d’un profond sommeil. Le mot, dont on le désigne désormais, le définit. C’est un « gisant. » Il ne gît pas lassé, brisé, désemparé, comme une épave de la vie. Il se tient aussi droit, couché, que debout à la parade, aussi ferme que la longue épée serrée sur son cœur. Rappelez-vous Philippe le Hardi, à Dijon, les mains jointes, les pointes des doigts en l’air, les poignets presque verticaux, tout le corps comme soulevé au-dessus de terre par la foi qui transporte et l’invincible espérance. Une légende fameuse au moyen âge racontait que, dans l’église de Notre-Dame, à Césarée en Cappadoce, reposait un chevalier nommé Mercure avec sa lance et son écu. Or l’empereur Julien l’Apostat étant venu à passer par-là et toute la ville se trouvant en grande peine et terreur à cause de ses menaces, Notre-Dame apparut, une nuit, au « gisant » et le pria de sauver la chrétienté. Le lendemain matin, la statue avait disparu, sa lance et son écu aussi et l’Apostat était mis à mort au milieu de ses troupes ; puis, la nuit passée, on retrouva raccrochés au mur la lance et vécu du chevalier, et lui, de nouveau, tranquillement couché sur sa tombe. A voir les statues des chevaliers étendus suivies pierres tombales du moyen âge, encore tout vêtus de fer,