Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il parut indispensable de prendre des mesures efficaces pour enrayer le mal. M. Ducos, qui était alors ministre secrétaire d’Etat de la Marine et des Colonies, adressa au Président de la République un rapport sur la nécessité de refréner « l’indiscipline des équipages, qui entrave le développement de la marine marchande, base essentielle de la puissance navale du pays[1]. » Le rapport était suivi d’un « décret disciplinaire et pénal pour la marine marchande », qui fut signé par le Président de la République.

C’est le fameux décret-loi du 24 mars 1852, que M. Pelletan, dans ses interviews, a qualifié de « terrible décret » et qu’en fait, il a traité en décret inapplicable. C’est ce texte législatif qui érige en délit de « désertion » le fait pour l’inscrit maritime, lié par un engagement et figurant au rôle d’équipage, de quitter son navire sans autorisation pendant plus de trois jours ou de ne point réintégrer le bord au moment du départ du navire.

  1. « Parmi les causes qui entravent le développement de notre marine marchande, base essentielle de la puissance navale du pays, l’indiscipline des équipages n’est pas la moins sérieuse. Les rapports des capitaines constatent journellement leur impuissance à réprimer les excès des marins placés sous leurs ordres. Les plaintes des armateurs contre un esprit de révolte si préjudiciable au succès de leurs entreprises se multiplient de plus en plus. Enfin les doléances incessantes des chambres de commerce de nos ports prouvent combien il est urgent de remédier à un mal très ancien déjà, qui, en frappant la fortune commerciale, atteint par contre-coup la fortune publique et menace dans son principe vital la force maritime de l’État.
    « La loi est la base de l’autorité du chef et de l’obéissance du subordonné ; elle est la source naturelle de l’ordre dans toute réunion d’hommes. Ce principe, d’une vérité générale, s’applique particulièrement à la grande famille des marins ; La vie de l’homme de mer est une exception…
    « L’ascendant moral ne suffit pas toujours pour obtenir cette obéissance si nécessaire, il faut que la loi assure au chef des moyens de répression en rapport avec les impérieuses exigences de sa situation difficile. Il n’est pas de nation maritime qui n’ait compris cette nécessité, et qui ne s’y soit soumise. A toutes les époques, et chez tous les peuples, les lois maritimes ont eu pour base commune des juridictions spéciales, des pénalités exceptionnelles… Avant 1790, la législation de la France concernant la marine marchande était complète et efficace. Elle procurait à une classe d’hommes voués à l’existence la plus exceptionnelle, ayant des mœurs, des habitudes toutes spéciales, des juges compétens pour apprécier leurs actes en pleine connaissance de cause.
    «… Les capitaines des navires du commerce n’ont plus d’action sur leurs équipages… Dans les ports de France, aussi bien que dans les ports étrangers, il y a absence totale de moyens de répression. Depuis l’arrêt de cassation du 13 décembre 1828, le pouvoir des commissaires de l’inscription maritime est borné à la punition des fautes relatives au service de l’État et à la police des classes, et ne s’étend plus aux manquemens qui intéressent la marine marchande. Et pourtant, à bord d’un navire de commerce comme sur un bâtiment de l’État, la vie de l’équipage et des passagers dépend de l’ensemble et de la précision des manœuvres, de l’obéissance ponctuelle aux, ordres donnés… » (Rapport de Ducos.)