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Ce délit de « désertion » assimile l’inscrit maritime au soldat, et rend futile toute argumentation destinée à établir que la loi de 1884 sur les syndicats professionnels s’appliquerait aux marins aussi bien qu’aux terriens, et donnerait aux inscrits maritimes le même droit de quitter le bord qu’aux ouvriers ordinaires de quitter l’usine.

Le décret-loi de 1852 serait-il abrogé dans la pensée du ministre de la marine, par les actes législatifs ultérieurs sur la matière ? Il semble bien que nos gouvernans considèrent en effet comme incompatibles les prescriptions disciplinaires dû décret et les immunités et autorisations de la loi de 1884. Mais cette incompatibilité n’est pas même apparente, aucun rapport n’existant ni ne pouvant exister entre les situations auxquelles s’appliquent l’un et l’autre textes. Toute la législation sur l’inscription maritime et le décret disciplinaire et pénal de 1852 font de l’inscrit un travailleur placé sous la tutelle de l’État, destiné exclusivement à la mer, qu’il s’occupe de pêche ou de navigation de commerce, un ouvrier-soldat, pour qui l’abandon non autorisé du travail dans certaines conditions bien définies est traité et puni comme la « désertion. » Est-il croyable que le législateur de 1884, s’il avait entendu que les immunités qu’il conférait aux travailleurs industriels et agricoles de toutes catégories s’appliqueraient aussi à l’ouvrier-soldat qu’est l’inscrit maritime, ne l’eût pas dit expressément ? Or la loi de 1884 sur les syndicats professionnels ne dit pas un mot des inscrits maritimes, et pour cause, puisque les dispositions nouvelles ne pouvaient les concerner en rien, alors qu’ils étaient placés sous un régime tout spécial, sous une législation d’exception. M. Rivelli, secrétaire du syndicat des inscrits maritimes, terminait un article paru dans un journal de Marseille en juillet dernier, par cette déclaration aussi creuse que sonore : « Si à bord on est esclave, à terre on est citoyen ! » Des mots, des mots, rien que des mots. Un inscrit maritime n’est nullement esclave à bord, et, quand il est à terre, pour peu qu’il ait un engagement en cours, il est soldat en même temps que citoyen.

D’autres textes législatifs que la loi de 1884 pourraient être plus légitimement invoqués par ceux qui estiment que les pénalités édictées dans le « terrible décret » sont un reste suranné, honteux, d’un passé de barbarie et d’oppression. Le 21 février 1891, le ministre de la Marine, M. Barbey, présenta un