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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/178

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un an. Toutefois le capitaine, maître ou patron du navire, sur lequel le « déserteur » était embarqué, pouvait demander et obtenait généralement sa réintégration à bord, si l’arrestation avait été opérée avant le départ du navire. Mais, dans ce cas, les gages du délinquant étaient réduits de moitié à partir du jour de la « désertion » jusqu’à l’expiration de l’engagement.

Déserteur ! La loi qualifiait de ce terme sinistre le marin employé sur un navire de commerce, qui, pour une cause ou pour une autre, abandonnait pendant plus de trois jours son navire où cependant il n’était au service que d’intérêts privés. Dans la matinée du quatrième jour après sa descente non autorisée du bord, il pouvait, il devait être appréhendé par les gendarmes, et conduit en prison[1]. La loi lui rappelait ainsi durement, reconnaissons-le, qu’il n’était qu’un mineur, un demi-citoyen en tutelle, et que, travaillant pour l’Etat d’abord, pour l’industrie ensuite, il était toujours l’inscrit qu’attendait, après trois cents mois de navigation, la pension des Invalides de la marine.


IV

La loi n’était-elle pas vraiment trop sévère ? était-elle encore, — on ne se faisait point faute de le nier, — en conformité avec l’idée que l’on se fait communément aujourd’hui des droits du citoyen lorsqu’il a payé sa dette à la patrie en s’acquittant de

  1. Dans les ports, sur les rades de France et dans les ports des colonies françaises, l’exercice du pouvoir disciplinaire, concernant les fautes de discipline et les délits maritimes, appartient au commissaire de l’inscription maritime. Il l’exerce à l’aide des gendarmes maritimes.
    Dans un opuscule publié en 1890 par M. A. Jouan, sous-commissaire de la marine, et intitulé Guide-formulaire à l’usage des agens de l’inscription maritime, se trouve le modèle suivant d’un procès-verbal à rédiger par les gendarmes de la marine, au cas qu’ils fussent appelés à constater que l’équipage d’un navire de commerce refuse l’obéissance au capitaine :
    «… Nous, gendarmes de la marine,… agissant en vertu d’une réquisition de M. le commissaire de l’inscription maritime, nous nous sommes rendus à bord du vapeur ***, mouillé dans le bassin à flot, où nous avons trouvé le capitaine du navire aux prises avec les hommes de l’équipage… lesquels réclamaient des avances sur leurs gages et refusaient de travailler, si le capitaine n’accédait pas à leur demande. Ayant représenté à ces marins qu’ils tombaient sous l’application des peines édictées par le décret-loi disciplinaire et pénal en cas de refus d’exécuter les ordres de leur chef,… voyant nos efforts inutiles pour ramener ces marins à leur devoir, nous nous sommes emparés des nommés… et les avons conduits devant M. le commissaire de l’inscription maritime, qui, après les avoir interrogés, nous a délivré un billet d’écrou, en vertu duquel ils ont été internés a la prison civile de cette ville. »