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n’admet pas qu’il puisse exister une telle loi, et comme sa raison, disons ici sa raison d’homme politique, n’admet pas qu’on puisse user de telles rigueurs à l’égard de gens qui votent et peuvent contribuer à faire ou à défaire une majorité, il s’ensuit que les choses vont exactement comme si la loi en effet n’existait pas. Des équipages entiers descendent un matin de navires de commerce effectuant des opérations de débarquement ou d’embarquement. Ils n’ont, bien entendu, demandé ni obtenu aucune autorisation. Ils abandonnent le travail en cours, se réunissent pour disserter sur leurs griefs, rédiger des ordres du jour, présenter des revendications, demander le déplacement de tel ou tel de leurs officiers qu’ils trouvent sévère ou injuste ; ils fraternisent avec les dockers qu’ils encouragent à ne point débarquer les marchandises, avec les charbonniers qu’ils incitent à ne pas embarquer du charbon. Ils laissent ainsi passer trois fois vingt-quatre heures et n’ont pas reparu à bord. Dès lors, si les dockers et les charbonniers sont et restent de simples grévistes, eux, les inscrits, deviennent, ipso facto, des déserteurs, passibles d’emprisonnement pour une durée de quinze jours à six mois. Mais il ne s’agit plus là, depuis quelque temps, que d’une pénalité théorique. La loi qui l’édicte n’est plus qu’une lettre froide, d’où la vie s’est retirée. L’administrateur de l’inscription maritime, par ordre supérieur, ne sait plus ce que la loi ordonne. L’autorité publique ne se met plus en mouvement. Le ministre en effet, oubliant la révision de 1898, estime que le décret de 1852, dans sa rigueur féroce, fait honte à l’état social plein de mansuétude, où nous vivons, et, si on lui oppose la loi de 1898, il répond seulement qu’il n’est pas seul de son avis, et que son prédécesseur, M. de Lanessan, n’avait rien voulu savoir non plus du délit de désertion des inscrits maritimes.

Donc, en fait, les obligations imposées aux inscrits, et attachées spécialement au cas d’engagement à bord d’un navire de commerce, sont considérées par l’autorité compétente comme n’existant plus. Mais, par une étrange incohérence, les obligations corrélatives imposées par la loi aux armateurs à l’égard des inscrits avec lesquels ils ont contracté, subsistent toujours, aux yeux de cette même autorité compétente, ainsi que toutes les autres obligations d’un caractère général attachées à l’industrie de la navigation de commerce.

L’obligation imposée aux armateurs de ne composer, pour la