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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/189

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des rigueurs légales auxquelles ils s’exposent. Mais cette coopération, ils l’attendent vainement, car elle ne peut venir, au moins dans l’état où se trouvent encore les choses en France. Au lieu du secours tutélaire, ce qu’ils voient arriver un jour, c’est… la troupe, chargée de maintenir l’ordre matériel, intérêt qui prime tout, l’ordre moral ne comptant plus que pour peu de chose, sinon pour rien.

La grande grève de deux mois, qui réunit dans un même effort de combat contre les nécessités impitoyables de la vie, des marins, des portefaix, des charretiers, des ouvriers de multiples métiers, a donc finalement échoué. Elle s’est terminée par la capitulation successive de toutes les associations ouvrières ou professionnelles qu’elle avait groupées, devant la coalition vigoureuse des intérêts légaux menacés. Tel avait été déjà le sort de toutes les grandes levées de boucliers du monde ouvrier dans les quinze dernières années : grève des dockers, marins et tondeurs de moutons d’Australie ; grève monstre des ouvriers de chemins de fer aux États-Unis ; grève des ouvriers mécaniciens d’Angleterre, par laquelle fut paralysée pendant sept mois, si inutilement pour les grévistes, toute l’activité industrielle de la Grande-Bretagne.

Ces échecs sont aisément explicables. La grève n’est qu’une absurdité, si elle n’est pas capable de produire ce qui est son unique objet, l’intimidation[1]. En tant qu’effort pour obtenir une amélioration de la situation des ouvriers, elle constitue un procédé misérable qui ne peut réussir que dans des cas isolés, contre des patrons surpris, sans défense. Elle n’a de raison d’être que si elle se comporte comme une tentative audacieuse de substitution, dans toutes les branches d’activité, de la tyrannie syndicale à l’autorité patronale. Mais il faut alors qu’elle intimide, qu’elle terrorise. De là ces mises à l’index, ces

  1. La douzième réunion annuelle du « Congrès maritime national » s’est ouverte il y a quelques jours, le 24 octobre, au Havre. Le citoyen Rivelli, de Marseille, était présent. Le bruit se répandit aussitôt que les ouvriers du port étaient sur le point de se mettre en grève, et que les inscrits maritimes du Havre se joindraient à eux. La nouvelle était fausse. Le lendemain 25, au début de la seconde séance du congrès, M. Rivelli, secrétaire de la Fédération nationale des syndicats maritimes, fut élu secrétaire de la réunion présente, et prononça une allocution en déposant le rapport du bureau fédéral. Il fit appel à l’union des inscrits, dit que l’attention du pays devait être appelée sur la situation des corporations maritimes, mais déclara qu’il n’était pas partisan des grèves, ces mouvemens partiels, plus ou moins bien préparés, ne donnant généralement que des avantages douteux. Ce sont là paroles d’un sage. Mais quantum mutalus ab illo… !