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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/190

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brusques cessations de travail sans cause, même sans prétexte, cette pression constante exercée tantôt sur un point, tantôt sur un autre de la forteresse patronale, par la masse des organisations ouvrières, tout le contre-pied des intentions de la loi de 1884, qui avait cru organiser la paix entre l’employeur et l’employé, cette loi d’illuminés ou de faux bonshommes, qui prétendait, en proclamant le droit à la grève, couper les vivres aux gréviculteurs, ruiner leur profession.

La grève devant terroriser si elle veut avoir quelques chances de succès, les inscrits maritimes, on aura pu le voir par ce qui précède, sont les travailleurs les moins qualifiés de France pour se livrer à ce genre de sport politique, pour s’engager dans ce procédé de lutte pour la conquête d’un plus grand bien-être. Ils n’y ont aucun droit, et ils y courent les plus grands risques. Leur intervention dans la grève de Marseille était absolument illégale ; elle n’a été en outre d’aucune utilité aux autres organisations ouvrières et n’a produit d’autre résultat que de faire subir à l’industrie de la navigation de commerce et au port de Marseille des pertes considérables. Même avec la coupable indifférence, avec l’inaction systématique du gouvernement, ils n’ont pu réussir à intimider le patronat que menaçait leur alliance délictueuse avec les autres associations ouvrières. Quant aux grévistes ordinaires, bien que leur situation fût dans une large mesure moins mauvaise au point de vue légal que celle des grévistes « déserteurs, » ils ont également fait un marché de dupes. Après deux ou trois mois de chômage et de perte de salaire, ils ont repris le travail comme ils l’avaient quitté, sans avoir rien obtenu. C’est l’histoire d’hier, et ce sera l’histoire de demain, si les ouvriers ne s’assagissent pas, si les entrepreneurs de grèves ne désarment pas.


AUGUSTE MOIREAU.