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Alsace-Lorraine, il continuait son personnage de Français d’opposition : il y cherchait, sans plus, des argumens contre notre démocratie.

J’admis ce point de vue, et je procédai avec méthode. Je me fis introduire chez les notaires de la région ; je tâchai de savoir par eux si ce qu’on remarque d’abord dans la vie sociale allemande et qui fait contraste avec notre orientation démocratique provient seulement du personnel administratif, ou si c’est un esprit saisissable dans les articles même du code.

On sait que le génie démocratique français tend comme à un idéal à l’égalité de fait entre les citoyens. Le code napoléonien poursuit la division à l’infini des propriétés, déracine moralement et matériellement nos fils, nous limite à une œuvre viagère et supprime les familles chefs ou, si vous voulez, les influences indigènes. — Au contraire, l’art social, selon les Allemands, c’est de fonder, de maintenir et de perpétuer des domaines où puissent se former des « autorités sociales. »

Je constatai que les nouveaux maîtres tendent à créer en Alsace, — à défaut de nobles qui possèdent des privilèges précis, — des notables qui jouissent d’une influence supérieure grâce aux avantages de la fortune. Pour y parvenir, leur nouveau code fortifie la famille et la propriété terrienne. Tandis que la France ne permet que des buts viagers, l’Allemagne cherche à allonger vers l’avenir les pensées fortes de ses citoyens. Elle favorise la reconstitution de la grande propriété en organisant les échanges de parcelles entre propriétaires ; elle écoute et respecte, par-delà la tombe, la volonté des morts ; elle leur maintient ainsi une puissante activité posthume.

Un Alsacien-Lorrain ne meurt plus, comme il fût mort sous la loi française, en sachant que l’œuvre de sa vie va être détruite. Ni l’individu ni la société n’y trouveraient leur compte. A défaut de la liberté absolue de tester, il trouve dans le nouveau code tout un système de libertés. Tandis que la loi française oppose mille difficultés aux fondations d’intérêt public et interdit les fondations d’intérêt privé, en Alsace-Lorraine, désormais, toutes les combinaisons d’ordre privé ou public sont possibles. Sans doute, le Statthalter annulerait une fondation qui distribuerait des primes aux jeunes Alsaciens rejoignant l’armée française. Mais un Alsacien-Lorrain peut prendre telles dispositions qu’il lui plaira pour assurer des dots à ses filles, à ses