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outre, comme tous les saints, il adorait les enfans. Il adorait aussi les bêtes ; et cela encore aurait été pour le rapprocher d’un chétif et charmant bambin aux grands yeux bleus, qui, dans un troisième étage d’une rue toute voisine de son palais, ne s’interrompait de ses études musicales que pour nourrir dans sa main les oiseaux de sa mère, ou pour se rouler sur le plancher avec un gros chien qu’on lui avait donné. Quand le bon archevêque se promenait par les rues de sa ville, tous les enfans accouraient vers lui, certains de trouver dans ses poches une abondante provision de sous et de friandises ; ou bien il recueillait sur son passage les chiens abandonnés, et les mettait en pension chez de pauvres gens, tout fier de ce moyen, qu’il avait inventé, pour servir à la fois les pauvres et les bêtes. Ce contemporain de Louis XV et de Frédéric faisait revivre sur le trône les vertus de saint Louis ; ce qui ne l’empêchait point d’être, au total, un excellent administrateur, actif, entreprenant, plein de zèle pour la prospérité comme pour la beauté de sa ville. Mais il avait le malheur d’être pieux : et précisément il vivait en un temps où, même chez un évêque, la piété était tenue pour un signe infaillible de sottise et de barbarie. Vénéré de son peuple, les beaux esprits salzbourgeois faisaient profession de le mépriser ; et Léopold Mozart partageait leur sentiment, sans compter qu’il éprouvait aussi pour son souverain un peu de cette malveillance foncière qui est, en quelque sorte, le sentiment naturel d’un serviteur « éclairé » à l’égard de ses maîtres. Rien d’amusant comme de le voir, dans la seconde édition de son École du Violon (1770), s’ingéniant à expurger la dédicace de ce qu’elle avait eu d’abord de trop élogieux. De telle manière que, si même, suivant toute apparence, il n’a guère pu se dispenser de conduire son fils chez l’archevêque, — et cela dès la fin de 1761, avant d’aller le montrer aux cours de Munich et de Vienne, — j’imagine qu’il l’aura fait avec mauvaise grâce, sèchement, ainsi qu’une corvée : ce qui nous expliquerait que Sigismond, ne voyant dans l’enfant qu’un petit « phénomène » pareil à maints autres (et l’espèce en était alors innombrable), n’ait pas cru devoir prendre la peine de le mieux connaître.

C’est au reste d’une façon analogue que le maître de concert, avec ses préjugés de dignité bourgeoise, — où se mêlait probablement, ici, une part de jalousie professionnelle, — n’a point permis à son fils de subir l’influence de l’exemplaire musicien