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défié, d’abord, de jouer ses morceaux avec un seul doigt, puis de les jouer sans voir les touches ; et l’enfant se serait mis aussitôt à jouer avec un seul doigt, puis aurait fait recouvrir le clavier d’un drap, et aurait joué ainsi le plus brillamment du monde. C’est encore à François Ier que Mozart a dû, nous affirme-t-on, de connaître la personne et l’œuvre du seul musicien viennois qu’il paraisse avoir rencontré pendant ce voyage : le compositeur de cour Georges-Christophe Wagenseil[1]. « S’étant assis au clavecin, en présence de l’empereur, et comme les courtisans qui l’entouraient ne lui faisaient pas l’effet d’être suffisamment connaisseurs, il demanda : « Est-ce que M. Wagenseil ne se trouve « pas ici ? » Sur quoi l’empereur appela Wagenseil et l’installa, à sa place, près du clavecin. « Je vais jouer une sonate de « vous ! lui dit alors l’enfant. Vous aurez, s’il vous plaît, à me « tourner les pages ! » Ce Wagenseil n’était du reste qu’un compositeur assez médiocre, et le commerce familier d’un maître tel qu’Eberlin, par exemple, aurait pu avoir sur la formation artistique de Mozart une influence autrement précieuse : mais ce n’en était pas moins la première fois que le petit se voyait en face d’un véritable musicien, d’un homme possédant, ainsi qu’il le possédait lui-même, le pouvoir de tirer de soi des œuvres vivantes. Plus d’un an après cette rencontre, sa première sonate nous le montrera se souvenant encore de l’exemple du vieux Wagenseil.


Inutile d’ajouter que, au point de vue de la publicité mondaine et du succès pécuniaire, la présentation de l’enfant à Schœnbrunn eut pour Léopold Mozart tous les résultats qu’il en attendait. Pas une grande maison de Vienne qui, durant les semaines suivantes, ne tînt à avoir ce « maître sorcier » que la famille impériale avait daigné entendre. « de partout on vient nous chercher, — écrivait Léopold le 19 octobre, — et en de magnifiques carrosses, et on nous ramène dans le même équipage… On nous engage quatre, cinq, six, jusqu’à huit jours d’avance, par crainte d’arriver trop tard… Un jour, nous sommes allés

  1. Joseph Haydn se trouvait alors à Eisenstadt, où il s’occupait d’achever et de mettre en scène sa pastorale Acide. Quant à Gluck, dont l’Orphée était accueilli chaque soir avec plus d’enthousiasme, aucun témoignage n’indique que le petit Mozart lui ait été présenté : et cela nous prouve bien encore que les séances de l’enfant prodige n’étaient guère considérées à Vienne comme un véritable événement musical.