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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/199

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dans une maison, de deux heures et demie jusque vers quatre heures : puis le comte Hardegg nous a fait prendre, dans son carrosse, et nous a fait conduire, au grand galop, chez une dame, où nous sommes restés jusqu’à six heures et demie ; et puis nous avons été chez le comte Kaunitz, d’où nous sommes enfin partis vers neuf heures pour rentrer chez nous. » Le frère et la sœur jouaient, sur deux clavecins, des morceaux que leur père avait arrangés pour eux : ou parfois, comme à Schœnbrunn, on demandait à Wolfgang de déchiffrer quelque chose ; mais surtout on lui demandait de jouer avec un seul doigt, et puis de jouer sur un drap, sans regarder ses mains. Et chacun était ravi, mais personne ne l’était autant que l’excellent père et imprésario des deux petits virtuoses. Décidément, il ne s’était pas trompé en espérant que « son affaire allait marcher à merveille. » Déjà il se voyait rentrant à Salzbourg avec une respectable provision de ducats, lorsque, le 22 octobre, un accident se produisit qui, — c’est lui-même qui nous le dit, — le força à se rappeler que « le verre et le bonheur étaient choses fragiles. » La veille, on était encore allé à Schœnbrunn, et « Woferl, » qui cependant « ne se sentait pas aussi bien qu’à l’ordinaire, » avait consciencieusement peiné à divertir la grosse impératrice : le lendemain il n’avait pas pu se lever, et le médecin avait reconnu « une espèce d’attaque de fièvre scarlatine. »

La fièvre scarlatine étant une maladie contagieuse, il y aurait trop d’injustice à vouloir rendre responsable de cette « espèce d’attaque » le surmenage imposé, depuis un mois, au pauvre Woferl. Et cependant on ne peut s’empêcher de songer que, avec des noms de maladies toujours différens, une aventure toute semblable va arriver à l’enfant à Lille, et à La Haye, et de nouveau à Vienne en 1768. Au moment où Léopold Mozart s’imaginera que « son affaire va marcher à merveille, » surviendra tout à coup une « espèce d’attaque, » et les ducats déjà recueillis s’enfuiront ; et quand ensuite le petit phénomène se retrouvera en état de jouer avec un seul doigt sur un clavier couvert, personne, — la mode ayant changé, — ne se souciera plus de payer pour l’entendre. Lamentable aventure dont la répétition projette comme une ombre de tristesse et d’inquiétude jusque sur les plus beaux succès de l’enfant prodige ! Et comment, tout de même, ne pas y voir un résultat, non certes de la dureté de cœur de Léopold Mozart, ni de son avidité au gain, mais de son