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moitié du XVIIIe siècle : Jean-Sébastien Bach et son fils Emmanuel. C’est en effet l’auteur du Clavecin bien tempéré qui, dans son Concerto suivant le goût italien de 1735, en voulant imiter les concertos de violon de Vivaldi, — de même que son devancier Kuhnau avait naguère voulu adapter au clavecin les sonates de violon de Corelli, — avait produit, pour la première fois, un modèle déjà presque achevé de la sonate « allemande » : deux mouvemens vifs séparés par un andante, et, surtout dans le premier morceau, un développement suivi d’une reprise de la première partie. Puis était venu Philippe-Emmanuel, et tout de suite, avec l’admirable intelligence théorique qui s’unissait chez lui à l’âme inspirée d’un poète, il avait conçu et réalisé l’idéal parfait de la nouvelle sonate : dans ses six Sonates au Roi de Prusse (1742) et ses six Sonates au Grand-Duc de Wurtemberg (1743). Toutes les douze étaient traitées suivant la coupe ternaire que je viens de décrire ; et les thèmes y avaient une expression si parlante, et les rentrées s’y faisaient avec un art si varié, et les développemens y étaient si étroitement liés aux premières parties, et, dans chaque sonate, les trois morceaux étaient si étroitement liés l’un à l’autre, que l’on comprend qu’un jour Mozart, déjà parvenu lui-même au plein épanouissement de son génie créateur, ait pu répondre à ceux qui affectaient de dédaigner l’œuvre vénérable de son prédécesseur : « C’est lui qui est le maître, et nous ne sommes que ses écoliers. Tout ce que nous savons de bon, c’est de lui que nous l’avons appris ; et quiconque n’en convient pas n’est qu’un malotru ! »

Comme je l’ai dit, ces deux types opposés de sonate avaient tous deux des partisans dans l’Europe entière ; et le fait est que, en Allemagne même, aux alentours de l’année 1760, beaucoup de compositeurs restaient encore fidèles au type « italien. » D’autres, tout en adoptant la coupe ternaire consacrée par Philippe-Emmanuel Bach, gardaient l’habitude de réserver tout leur effort pour les deux premiers morceaux, et de terminer leurs sonates par l’aimable badinage d’un menuet, ou d’un rondo. Et peu à peu les uns et les autres, sous l’influence de la réaction universelle contre le vieux style « serré, » s’étaient accordés à admettre une coutume nouvelle, qui les dispensait d’une élaboration thématique trop sérieuse et trop prolongée. Peu à peu, entre les années 1750 et 1760, la plupart des auteurs de sonates, italiens et allemands, avaient adopté l’usage d’introduire dans leurs