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morceaux un second sujet. Après avoir exposé et varié de leur mieux le motif principal d’un morceau, ils exposaient et variaient de la même façon un second motif, tout à fait distinct et indépendant du premier ; et c’était ce second motif qui, présenté d’abord dans un ton voisin du ton principal, revenait ensuite dans le ton principal pour finir le morceau. Ainsi, au lieu d’un seul chant, comme chez Scarlatti et chez, Emmanuel Bach, chaque morceau de sonate contenait deux chants, simplement accolés l’un derrière l’autre : tout au plus s’efforçait-on parfois d’établir entre ces deux chants un certain lien de parenté, ou, plus souvent encore, de varier l’allure du morceau en les opposant l’un à l’autre par un facile contraste.

Tel était, très brièvement esquissé, l’état de la musique de clavecin (ou plutôt déjà de piano, car ces transformations artistiques du style avaient coïncidé avec une transformation non moins importante de la nature et des ressources de l’instrument lui-même) à l’instant où, en octobre 1763, dans sa chambre d’auberge de Bruxelles, le petit Mozart s’était mis à écrire sa première sonate. Substitution du piano au clavecin, substitution de l’homophonie au contrepoint, substitution de la sonate à la suite, rivalité entre deux types de sonate différens : c’était là, non pas en vérité une révolution, comme celle qu’allait amener, un demi-siècle plus tard, le mouvement romantique, mais une crise générale d’évolution et de remaniement. De l’art vénérable du XVIIe siècle on sentait qu’un art nouveau peu à peu se dégageait : mais on n’en voyait pas encore clairement la forme et le caractère définitifs ; si bien que chacun, et jusqu’aux plus grands, hésitait et tâtonnait entre des modèles divers. Malgré son admiration passionnée pour Philippe-Emmanuel Bach, le jeune Joseph Haydn, qui cependant avait résolument adopté la coupe ternaire dans ses symphonies et ses quatuors, conservait encore la coupe binaire italienne dans ses premières compositions de clavecin, le Divertissement de 1763 et les cinq Soir de 1766 ; Philippe-Emmanuel Bach lui-même, dans les deux sonates qu’il avait données en 1761 au recueil des Musikalischen Allerlei, semblait vouloir revenir à des formes anciennes. Comment s’étonner que, dans ces conditions, le petit Mozart ait, lui aussi, oscillé durant plusieurs années d’un système à l’autre, suivant les goûts et les habitudes des différens milieux où il s’est trouvé ? Son génie ne l’empêchait point de n’être encore qu’un