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l’ornement inutile, de l’étalage d’adresse, de l’éclat extérieur obtenu aux dépens de la pure beauté musicale. Et comme, en outre, ce gamin de huit ans nous apparaît déjà possédé de l’impérieux besoin, qu’aura toujours l’auteur de Don Juan, de pénétrer le sens profond de toutes les règles qu’il aura l’occasion d’appliquer ! J’ai dit que, après un petit développement, dans le premier morceau, il reprenait l’ensemble de la première partie : en réalité, sous prétexte de le reprendre, il le transfigure. Immédiatement après l’exposé du motif, une modulation imprévue, en fa majeur, vient relever l’accent du morceau, renforcer le rythme, introduire dans la trame facile du chant une émotion nouvelle, qui maintenant va l’imprégner jusqu’aux dernières mesures. Mozart, nous le sentons, ne peut pas se résigner à admettre qu’une « reprise » soit simplement une répétition, plus ou moins agrémentée de variantes inutiles : il veut dès lors qu’un morceau ait une vie totale, que l’action s’y « développe » et y progresse vraiment jusqu’au bout, que chaque retour d’un motif musical revête celui-ci d’une expression plus intense. Et ainsi cette sonate, pour insignifiante qu’elle soit en elle-même, est déjà bien l’œuvre d’un grand musicien : elle nous prépare à la merveilleuse floraison de passion et de poésie qui bientôt, demain, au contact de modèles plus parfaits, va jaillir tout à coup du cœur de l’enfant.


Cependant, à Bruxelles, les Mozart attendaient toujours que l’archiduc Charles fût en état de recevoir les deux virtuoses. Ils eurent à attendre jusque vers le 10 novembre, où, enfin, l’archiduc leur fit savoir qu’il assisterait à un concert public organisé par eux. Et comme, dans l’intervalle, l’excellent Hagenauer avait envoyé la « lettre de crédit » demandée, on se hâta, sitôt le concert dépêché, de payer la note de l’auberge et de faire atteler le « noble » carrosse. Encore un arrêt à Mons, le 15 novembre ; et, le soir du 18, toute la famille arriva à Paris, où le comte Van Eyck, ministre de Bavière, avait daigné lui offrir de demeurer chez lui. C’était un monde nouveau qui, maintenant, allait se découvrir à l’âme étonnée et ravie du petit Wolfgang.


T. DE WYZEWA.