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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/229

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c’est la sonate entière qui, sous un appareil extérieur emprunté à Léopold Mozart, a déjà une aisance et un abandon, une grâce « chantante, » une indéfinissable allure de liberté mélodique, que l’on chercherait en vain chez le maître de concert salzbourgeois et ses dignes collaborateurs des Œuvres mêlées. Évidemment le petit garçon aura rencontré, sur sa route, des modèles nouveaux qui, aussitôt, auront provoqué en lui le désir ingénu de les imiter. Et si l’on ouvre ensuite la sonate en fa majeur de G. A. Paganelli, dont j’ai parlé plus haut, on ne peut s’empêcher de supposer que c’est là précisément un de ces nouveaux modèles qui, dès 1763, ont commencé l’initiation de Wolfgang Mozart à l’art léger et charmant des maîtres italiens de son temps. Non seulement, en effet, les deux sonates font un emploi pareil de la basse d’Alberti, non seulement le premier allegro et l’andante y sont construits de la même façon : mais c’est comme si l’une et l’autre avaient pour objet de traduire les mêmes sentimens, tant est semblable l’impression générale qui ressort pour nous de l’une et de l’autre[1].

Et Mozart lui-même ? demandera-t-on, quelle part s’est-il réservée dans sa première sonate ? Sous ces influences et ces imitations, qu’y a-t-il mis de son propre cœur ? Fort peu de chose, en vérité, moins peut-être que dans ses menuets de l’année précédente. Le pauvre enfant aura été si pénétré de l’importance de son entreprise, — ne se hasardait-il pas à rivaliser avec son illustre père ? — que, sans doute, il se sera appliqué à son travail comme à un devoir d’écolier. Mais si la sonate ne nous révèle encore presque rien de son génie créateur, déjà elle a de quoi nous renseigner sur quelques-uns des traits les plus caractéristiques de ce qu’on pourrait appeler sa « morale » d’artiste, je veux dire de sa façon de comprendre l’honneur et la dignité de son art. Comparée aux sonates du père, elle nous étonne, d’abord, par une absence complète de tout artifice de virtuosité. Car Léopold Mozart, dans sa musique de clavecin, ne cesse point de prodiguer les passages, les renversemens de mains, etc., toutes pratiques qu’un enfant devait être naturellement tenté de s’approprier ; mais point : il y a dès lors dans l’âme de Wolgang une horreur instinctive de

  1. Cette première sonate de Mozart, sous sa forme primitive, n’a jamais été publiée que dans un précieux Mozart-Album édité, en 1871, à Salzbourg, par l’ancien conservateur du Mozarteum, M. F. Jelinek.