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elles, ces nations ? En Amérique peut-être, où un état social, né d’hier, dégagé de tout héritage du passé, a créé des mœurs si éloignées des nôtres. En Europe, les nations du vieux monde sont divisées en deux catégories. Chez les unes, la religion a été absorbée par l’État ; chez les autres, la situation est à peu près la même que chez nous. La seule différence est dans cette impatience que nous avons de nous réformer, de nous réviser sans cesse, impatience que, pour leur bon heur et leur tranquillité, les autres nations n’éprouvent pas au même degré que nous. Le Concordat a duré cent ans. Sans rechercher s’il ne l’a pas fait parce qu’il était conforme à nos traditions et à nos mœurs, nous dirons que, partout ailleurs, une durée aussi longue serait considérée comme une consécration définitive. Chez nous, au contraire, elle apparaît comme un paradoxe qu’il n’est que temps de faire cesser. Voilà d’où vient cette usure de nos forces vives, qui nous place en effet dans une infériorité fâcheuse à l’égard des autres nations. Pour elles, il y a des questions closes, sur lesquelles elles ne reviennent plus ; pour nous, il n’y en a jamais.

Ah ! si nous étions sûrs de fermer définitivement celle-ci en prononçant une fois pour toutes la séparation de l’Église et de l’État, avec quel empressement ne le ferions-nous pas ! Mais nous n’avons pas cette espérance, parce que nous raisonnons en politiques et en historiens, et non pas en philosophes et en logiciens. M. Ribot ne l’a pas davantage. Lui aussi penche fortement en principe vers le régime séparatiste ; mais, dans le langage d’un véritable homme d’État, il a déclaré que, par « probité envers le pays, » le parti libéral ne pouvait pas mettre — aujourd’hui — cette réforme dans son programme. Et c’est bien aussi l’opinion de M. Deschanel, puisqu’il a voté avec M. Ribot, qui ajourne la réforme à une date indéterminée, et contre M. Combes, qui la promet pour demain. Il a posé, en effet, un certain nombre de conditions préalables qu’il fallait réaliser avant de passer outre : au fond, elles se résument en une seule, qui est le changement du ministère et de l’esprit qui l’inspire. Nous ne demanderions pas mieux de voir tomber le ministère ; mais pourquoi ne pas commencer par-là ? Le ministère est toujours debout. Sans doute il peut être victime d’un accident imprévu ; mais, s’il vient à succomber dans une embuscade parlementaire, rien ne prouve, ni même ne permet de croire que l’esprit qui l’anime disparaîtra avec lui. M. Deschanel a eu des expressions pleines d’énergie pour caractériser cet esprit, et nous ne saurions mieux faire que de lui laisser la parole. « Vous êtes entouré, a-t-il dit, d’hommes qui considèrent