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au lit, le Roi va passer une heure chez d’Avaray. Ils causent ensemble des événemens de la journée, des résolutions à prendre pour le lendemain et des moyens d’y rallier les conseillers qui seront, dans leur réunion quotidienne, sous la présidence du Roi, appelés à les discuter.

Ceux-ci, le duc de la Vauguyon, le comte de Saint-Priest, le marquis de Jaucourt, le baron de Flaschlanden, jalousent et redoutent d’Avaray. Mais tous rendent hommage à son dévouement ; ils sont sensibles aux formes déférentes et courtoises dont il enveloppe ses idées. Ils le savent homme d’honneur et de loyauté, ennemi de l’intrigue, incapable d’une bassesse. Ils savent de même qu’on ne saurait longtemps lui résister sans encourir la disgrâce du maître, et ils en font leur profit.

À cause de lui, le maréchal de Castries, que le Roi a chargé de la direction générale de ses affaires, refuse de remplir sa fonction à côté de son souverain ; il persiste à la remplir de loin jusqu’au jour où La Vauguyon lui succède. La Vauguyon prend possession de son emploi à Vérone. Mais, pour avoir voulu résister au favori, en étayant sa résistance de manœuvres louches, il sera brisé. Le dépit qu’il en concevra fera de lui et de ses défenseurs, comme plus tard de d’Antraigues et de Puisaye, les irréconciliables ennemis de d’Avaray. Averti par ces exemples, Saint-Priest, devenu premier ministre dans cette cour d’exilés, s’attachera à vivre en bons termes avec l’ami du Roi. Rompu aux habiletés diplomatiques, fort de sa noblesse d’âme et de ses anciens services, auxquels d’Avaray est le premier à rendre hommage, il lui inspirera, en dépit de légers dissentimens qui s’apaisent toujours parce que toujours il cède à propos, attachement et respect.

Il n’est pas sûr que d’Avaray possède toutes les qualités nécessaires au grand rôle que Louis XVIII lui destine. Dans un corps chétif, frôle, affaibli par la maladie de poitrine qui le ronge sans altérer son énergie morale, il porte une âme impressionnable, capable d’inspirations fortes mais hors d’état de les réaliser jusqu’au bout. Il est prompt à prendre feu, enclin à la défiance, facilement soupçonneux quoique extraordinairement crédule. Dans une situation où d’autres pensent qu’il faut regarder plus encore aux résultats qu’aux instrumens et moyens à employer pour les atteindre, il répugne trop souvent à se servir des agens étourdis, légers ou sans scrupules, prêts à tout, bons à