Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/251

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout, que les hasards de l’existence misérable des émigrés ont fait surgir de toutes parts et mis au service de la cause royale.

Homme d’ancien régime, il est intransigeant sur les principes ; il n’accepte aucun changement dans les institutions de la monarchie ; il ne rêve que châtimens inexorables contre ceux qui les ont détruites. Lorsque Louis XVIII, en succédant à son neveu, prépare pour « son peuple » un manifeste, c’est d’Avaray qui inspirera le langage de son maître et lui donnera une physionomie menaçante et vengeresse. Dans le conseil tenu à Vérone, le 30 juin 1795, afin de discuter le projet de déclaration qu’a rédigé le secrétaire Courvoisier, c’est encore lui d’Avaray, qui, faisant litière des raisons politiques invoquées par le comte de Las Casas ambassadeur d’Espagne, par d’Antraigues et par les personnages qu’a réunis le Roi en vue de cette délibération solennelle, s’écriera avec véhémence :

— La première parole du Roi ne peut être que pour appeler le glaive de la justice sur la tête des assassins de son frère !

Et aussitôt, son opinion, bien que ses contradicteurs en démontrent les dangers et insistent sur la nécessité de paroles moins provocatrices, deviendra celle du Roi qui l’exprimera à son tour.

— Mon frère, mes neveux, ma famille, mes sujets demandent vengeance. Ne voyez-vous pas, messieurs, la calomnie qui me poursuit ! Si je me montrais indulgent, on ne manquerait pas de dire : Lisez, voyez la joie qui perce et l’ambition qui jouit.

Ce qu’est d’Avaray ce jour-là, il le sera toujours. Cette soif de vengeance qu’il vient de trahir, c’est, si bien lui qui en entretient les ardeurs dans l’esprit de son maître que celui-ci, malgré sa sagesse relative, n’y renoncera complètement qu’en 1810, lorsque la mort l’aura délivré du joug d’une amitié aussi nuisible à sa politique qu’elle fut précieuse et bienfaisante à son cœur.

Voilà, certes, des violences d’opinion singulièrement dangereuses dans un homme dont le Roi a fait son principal et toujours écouté conseiller. Mais d’Avaray en atténue les effets par sa droiture, par de fréquens retours de prévoyance et par ce dévouement sans bornes qui permet de saluer en lui un admirable chien de garde, incessamment attentif à la sûreté du maître, la sentinelle vigilante de l’honneur de la couronne et du monarque. Au surplus, en le rencontrant sur sa route, l’historien de cette époque extraordinaire, si fertile en personnages étranges, doit l’accepter tel qu’il se présente. Il n’est tenu que