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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/254

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entendait posséder seule, elle se montrait, en toute occasion, disposée à s’assurer sa gratitude en l’aidant de son crédit.

Elle lui en donna une preuve positive en 1783, lorsque, après la paix avec l’Angleterre, d’Avaray revint du siège de Gibraltar où, grâce à l’appui de la Reine, il avait pu se faire envoyer. Il s’y était bravement conduit. En récompense de ses services sur la batterie flottante du prince de Nassau-Siégen, il venait d’être nommé colonel en second du régiment de Boulonnais qui tenait garnison à Rouen. N’ayant « que mille francs à manger par an, » — c’est lui qui l’avoue, — il était endetté déjà au moment de son départ pour l’Espagne. Les dépenses d’un long voyage et d’une campagne mouvementée n’ayant pas arrangé ses affaires, il se débattait déjà dans une gêne humiliante. La nécessité d’acheter des chevaux et tout un équipage avant de se rendre à son régiment vint aggraver ses charges et rendre sa situation d’autant plus cruelle qu’à la suite d’un procès, qui durait depuis vingt ans, sa famille, bien qu’elle eût obtenu gain de cause, se trouvait dans l’impossibilité de lui venir en aide.

Dans cette détresse, après s’être longtemps demandé s’il en appellerait à la bienveillance toujours très marquée de la Reine ou à celle non moins vive de Monsieur, c’est à celle-ci qu’il décida de recourir par l’entremise de Mme de Balbi.

« Elle me reçut à merveille, avec une obligeance et une grâce parfaites. A peine y avait-il quelques jours que je lui avais parlé, que Monsieur m’envoie chercher, me remet avec cette bonté qui lui est propre un portefeuille renfermant mille louis en billets de la Caisse d’escompte et me dit d’un ton qui centuple le bienfait :

« — Que ne le disiez-vous, jeune homme ? Le mois prochain, vous toucherez encore cinq cents louis.

« Je baisai la main protectrice de mon maître et courus chez Mme de Balbi pour lui exprimer ma reconnaissance en reportant tout à elle… Dès ce moment, je lui rendis plus par affection que par devoir. Je fermai les yeux sur ses défauts pour ne les ouvrir que sur ses qualités. Je ne la vis plus que sensible, obligeante, fière, courageuse, et, si c’était en vain que je cherchais en elle la grâce, la douceur, les vertus sans lesquelles il n’est pas de femme aimable et attachante, je m’appliquai à y trouver toutes celles qui constituent un grand caractère et, en vérité, c’était souvent avec succès.

« Le comte d’Hautefort, notre ami, servait encore à resserrer