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l’on ne relève pas l’injure, l’insulteur, les tiers et l’insulté lui-même peuvent croire que c’est lâcheté. Monsieur, j’ai droit à une rencontre sérieuse ou à des excuses. Et si j’avais à choisir, je préférerais une rencontre.

Je m’inclinai.

— Vos témoins exposeront votre revendication. Vous trouverez devant vous un galant homme. Mais précisément parce que l’on vous tient pour tel, je n’hésite point (c’est le but de ma visite) à vous demander un véritable service. Un service, non pas pour votre adversaire, qui se débrouillera, mais pour une femme et pour moi-même. Le comte et la comtesse d’Aoury, de qui je suis l’hôte, sont très attachés à leur Lorraine. C’est un sentiment que vous comprenez. Que les propos de leur beau-frère soient connus, leur expulsion en sera la suite. La mienne aussi, j’imagine. Si mon ami Aoury n’était pas absent, c’est lui qui vous adresserait la demande que je vous soumets au nom de sa jeune femme : couvrez d’un prétexte votre querelle avec M. Le Sourd. Tâchez que rien ne transpire du caractère exact de cette scène. Il est facile d’inventer une fable. Dans beaucoup de cas, deux adversaires font cet accord.

M. Ehrmann n’était préoccupé que d’être correct et de forcer l’estime. Avec cette magnifique confiance qui réussit assez bien aux jeunes gens, mais à quoi, passé la vingt-sixième année, nous sommes presque toujours contraints de renoncer, il se mit entièrement dans mes mains.

Nous convînmes, à voix basse, qu’il allait se procurer deux témoins d’une discrétion certaine, et que, dans deux jours, il arriverait vers les dix heures du matin au château de Lindre-Basse, où il serait mon hôte, pour que d’une manière ou de l’autre on y réglât cette fâcheuse histoire.


III. — UNE PARISIENNE EN ALSACE-LORRAINE

Deux jours se passèrent à Lindre-Basse sans que personne, en dehors de Mme d’Aoury, eût un soupçon de l’aventure. Le Sourd ramena, lui-même, de Nancy des épées, des pistolets et deux jeunes Parisiens accourus pour lui servir de témoins. C’est à Nancy également, que nous prîmes le médecin, car il eût été malhonnête de compromettre dans cette affaire aucune personne du pays annexé.