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succès, croyant par-là trouver grâce pour les sentimens que son cœur voulait répandre. Il s’était bien trompé. Chaque éloge pour moi avait été un coup d’épingle ; chaque expression touchante pour elle n’avait paru qu’un affront et, de ce moment, il eût été facile de prévoir ce qui se manifesta hautement bientôt après. Comme il m’était impossible, malgré les plus constans efforts, de réprimer les marques publiques d’intérêt et de reconnaissance que me donnait mon maître, chaque instant irritait davantage Mme de Balbi qui, me jugeant par elle-même, n’imaginait pas qu’il pût être loin de moi de vouloir dominer, qui, oubliant un caractère dont je ne m’étais jamais démenti, se persuadait sans doute que j’allais empiéter sur ce qu’elle regardait comme ses droits, et que je n’aurais d’autre but que de détruire peu à peu sa faveur. »

Voilà donc la guerre déclarée entre la maîtresse et le favori. Vainement, d’Avaray cherche à en prévenir les effets et s’attache à défendre en toute occasion son ennemie contre les traits acérés que lui décoche la malignité publique : tout est inutile et bientôt, il se voit dans la nécessité de résister ouvertement à la créature altière et jalouse « qui ne supporte pas que la pensée de Monsieur soit pour un autre qu’elle. »

Au milieu de « la tourbe de Coblentz, » il a distingué une jeune femme « douce, modeste, timide, pleine d’esprit et de grâce ; » il lui a donné son cœur. Monsieur, « parce qu’elle était aimable et plus peut-être parce qu’elle était aimée, » la traite en toute occasion avec bonté. C’en est assez pour attirer sur elle l’animadversion de Mme de Balbi.

« Un matin que j’assistais avec cinq ou six hommes à la Chemise Blanche[1] de Mme la Comtesse, voulant à tout prix amener une chose désagréable pour moi, elle tourne la conversation sur les femmes, juge leurs différens agrémens, compare l’une à l’autre et, enfin, aboutit à me dire :

« — Vous ne me parlerez pas de Madame de… Franchement, c’est une idiote.

« Je n’avais en effet nulle envie d’en parler. La conversation avait été jusque-là assez vive. Je me sentais fort échauffé par quelques traits piquans qui avaient précédé celui-ci. Ce nom prononcé en imposa pourtant à ma vivacité naturelle. Je repris

  1. « Elle fait matin et soir sa toilette devant tout le monde, changeant si vite chemise, bas et robe que personne n’y voit rien. » (Histoire de l’Émigration, t. I, p. 108.)