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NOSTALGIE


Pourquoi ton souvenir frêle s’évoque-t-il
Dans le soir velouté de tendresse infinie,
Chère âme de douceur, de grâce et d’harmonie,
Dont la fuite a laissé nos âmes en exil ?

Ton rêve embaume encore en l’arôme subtil
Que de très loin apporte un souffle d’agonie,
Et ta pensée, à l’or du crépuscule unie,
Est liée ici-bas par un suprême fil.

Ah ! combien le plus triste amour cache d’ivresse,
Quand l’ombre ainsi qu’une aile errante nous caresse
Comme il souffre et s’exhale en murmures discrets !

Aimons le soir, que l’heure épuise goutte à goutte,
Pour toute la douleur qu’aux douleurs il ajoute,
Et pour tout le regret qu’il ajoute aux regrets.


SUAVE AGONIE


Le soir est d’améthyste et d’ambre autour de nous.
L’âme est de sa lueur soyeuse enveloppée,
Et quelque languissante et frêle mélopée
Traîne vers l’Ouest, où l’Astre énorme s’est dissous.

Des taureaux, dont un joug courbe les larges cous,
Se profilent sur la pourpre d’une échappée,
Et, quand leur forme vague est au loin dissipée,
De sourds mugissemens se prolongent, très doux.

L’air semble une caresse odorante. Une perle
Vient d’éclore en la mer nocturne qui déferle.
Le Croissant fin s’argente en plongeant au Nadir ;

Et, par l’infini tiède et qu’un velours submerge,
J’entends et vois, au fond du sombre azur, grandir
L’élyséenne Extase et le Silence vierge.