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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/376

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PARC ABANDONNÉ


Le triste Amour distille aux cœurs qui furent siens
Des gouttes de silence et de mélancolie,
Et le songe est un fil invisible qui lie
Leur douloureuse extase à des regrets anciens.

Or, j’évoque les fiers regards patriciens
De Celle dont la grâce à mes rêves se plie,
En ce parc, vieux témoin d’une gloire abolie,
Où chaque soir, quand tout se recueille, je viens.

Le frêle crépuscule, ainsi qu’une marée,
Envahit l’horizon de sa moire nacrée.
L’ombre rampante a des caresses de velours.

Le mur s’écroule, et sur la balustrade lasse
L’obscur lierre à la ronce épineuse s’enlace,
Où j’accoude mes deuils si tragiquement lourds.


SÉRÉNITÉ


Seule en l’immensité des flots la barque glisse
Et laisse un éclatant sillage où le soir d’or,
Dissolvant ses rubis, fige une pourpre encor
Tiède qui traîne au loin sur la mer calme et lisse.

L’oreille écoute et l’œil contemple avec délice.
L’Astre sombré rougit les falaises d’Armor,
Et quelques goélands tachent d’un large essor
L’Océan sans écume et que nul vent ne plisse.

Vierge, c’est par un soir aussi limpide, aussi
Magique, et sous un ciel lentement obscurci,
Que, voguant au hasard, se mêlèrent nos âmes ;

Et dans un douloureux mirage je revois
Cette autre mer plaintive et dont nous apaisâmes
Les flots qui s’étaient tus pour entendre nos voix.