Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/382

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’une des plus grandes puissances du monde, les États-Unis ont parfois laissé paraître, en ces dernières années, quelques traces de cet orgueil inconscient que l’on pardonne volontiers aux peuples comme aux individus qu’une rapide fortune a comblés ; ils ont semblé quelquefois se complaire à critiquer les méthodes arriérées et les erremens surannés de la vieille Europe ; fiers de leur puissance économique, ils confondaient volontiers la politique avec les affaires et répétaient l’axiome que rien ne résiste à la puissance de l’argent. Il sera curieux de voir ces hardis initiateurs aux prises avec les obstacles naturels, avec un climat débilitant, une nature tropicale, une race forte, bien adaptée aux pays qu’elle habite, ayant des traditions et une civilisation. Les Américains avaient dénoncé avec horreur la tyrannie espagnole à Cuba et aux Philippines ; ils raillaient volontiers son impuissance en même temps qu’ils s’indignaient de ses cruautés ; il sera intéressant de voir comment, à leur tour, ils se sont comportés. Ardens propagateurs de l’émancipation des peuples, ils ont rencontré aux Philippines une occasion d’appliquer leurs doctrines ; imbus du préjugé de la race et de la couleur, eux qui pratiquent le « lynchage » des noirs et excluent impitoyablement les jaunes, ils ont pris en charge le bonheur de nombreuses populations malaises, ils se sont trouvés en rapports constans avec des Chinois. Comment ont-ils su concilier leurs doctrines émancipatrices avec les exigences de leurs passions nationales, quels sacrifices ont-ils fait à l’opportunité des circonstances ? Comment, par exemple, eux qui réclament si âprement « la porte ouverte » en Extrême-Orient et qui la ferment si jalousement chez eux, se sont-ils comportés aux Philippines ? Autant de questions dont l’étude nous fournira de précieuses indications, non seulement sur le caractère des Américains, mais aussi sur leur avenir comme colonisateurs et sur les conséquences de leur établissement dans ces parages où l’Europe, au terme de son expansion vers l’Extrême-Orient, entre en contact avec l’Amérique en marche vers l’Extrême-Occident, et où, en rapports l’une et l’autre avec le monde jaune, elles s’arrêtent, inquiètes, en face des mêmes problèmes.

Les Américains, pour apprécier leur œuvre, — c’est une première justice à leur rendre, — nous ont fourni des documens très complets. Aussitôt après la prise de possession de l’archipel, une première commission fut nommée, le 20 janvier 1899, par