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de leurs méthodes d’organisation coloniale. Les procédés de pacification, l’organisation du gouvernement, les rapports avec les natifs, la question de la main-d’œuvre, les relations avec le clergé catholique et les ordres monastiques, sont les points qui nous ont paru les plus dignes de retenir l’attention.


I

Quand les Américains s’établirent, par droit de conquête, aux Philippines et décidèrent d’y rester, ils n’y étaient pas appelés par le vœu unanime d’une nation opprimée, en révolte contre des maîtres abhorrés, et prête à se donner à leur vainqueur. Il faut se garder de toute méprise sur le caractère vrai des insurrections que les Espagnols eurent à réprimer pendant les dernières années de leur domination[1]. La rébellion qui, de 1896 à 1898, a soulevé une partie de la population indigène contre l’administration des Espagnols, a coûté à ceux-ci beaucoup d’hommes et beaucoup d’argent, mais elle n’a jamais menacé gravement leur domination à Manille et dans les principales villes de l’archipel ; des escarmouches, des embuscades ne pouvaient suffire, à supposer que les insurgés en eussent l’intention et le désir, pour chasser des mers orientales le pavillon du roi d’Espagne. D’ailleurs, au moment où se produisit l’intervention décisive des Américains, la rébellion était à peu près apaisée ; par le traité de Biac-na-bato ; Aguinaldo, dont on a voulu faire un héros de la liberté, avait bourgeoisement accepté quatre cent mille pesetas pour se retirer à Hong-Kong, et, bien qu’il ait surtout employé cet argent à préparer une révolte nouvelle, sa soumission n’en montre pas moins qu’il pouvait y avoir, avec les insurgés, des accommodemens et qu’ils n’étaient pas des ennemis irréconciliables de l’Espagne. Aucune haine de race ne séparait les Espagnols, aristocratie gouvernante et exploitante, et la partie la plus élevée, la plus riche et la plus instruite de la population tagale : le régime espagnol, avec tous ses défauts, convenait bien, en somme, aux indigènes, à leur indolence native et à leurs vices fonciers ; mais les Tagals, chrétiens comme

  1. Sur les erreurs de l’administration espagnole et aussi sur ses mérites, — car elle en a eu auxquels les Américains sont les premiers à rendre justice, — voyez, dans la Revue, les études de MM. Charles Benoist (15 juillet 1897). Pierre Leroy-Beaulieu (1er janvier 1897), André Lebon (15 février 1901) et André Bellessort : Une semaine aux Philippines (15 février 1897).