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faire revivre les vieilles institutions d’autonomie locale que les Espagnols avaient systématiquement énervées, et créait, dans chaque pueblo, une sorte de conseil municipal, composé d’un capitaine et de quatre lieutenans qui se partageaient les fonctions du pouvoir exécutif ; ces officiers municipaux n’étaient pas élus au suffrage universel et direct, ils étaient nommés par douze délégués, choisis eux-mêmes parmi les principalia, c’est-à-dire parmi les citoyens payant cinquante dollars d’impôt foncier ou ayant exercé certaines charges publiques. Dans ce droit très restreint de suffrage censitaire consistait toute la part prise par les Philippins à leur propre gouvernement. Les fonctions de membre du Conseil municipal, celles de délégué des principalia, celles de capitaine de barangay, loin d’être recherchées, étaient au contraire redoutées, et chacun s’efforçait de s’y dérober. Obligatoires pour les élus, elles étaient gratuites et, pendant les quatre ans de leur durée, elles entraînaient de lourdes charges. La loi attachait les officiers municipaux à leurs fonctions comme jadis, dans l’empire romain, les curiales à la curie. Un journal espagnol de Manille, cité dans les rapports de la commission américaine, estime que, depuis 1893, les neuf dixièmes des capitaines de barangays s’étaient ruinés dans leur gestion. Ces fonctions ne procuraient d’ailleurs que les charges du pouvoir, sans en donner la réalité qui appartenait effectivement au prêtre de paroisse, membre de droit de toutes les branches du gouvernement municipal ; il faisait partie des principalia et, sans voter, il donnait son avis sur le choix des douze délégués ; ceux-ci, à leur tour, il les aidait de ses conseils pour choisir les officiers municipaux, il signait le certificat d’élection après s’être assuré de la correction du scrutin ; au tribunal municipal, il avait le droit de siéger, avec voix consultative, quand il s’agissait des questions de budget, d’impôts, de travaux publics, et, quand il devait prendre part à la séance, il avait la faculté d’en fixer l’heure. Ainsi les religieux espagnols, chargés du ministère paroissial au détriment des prêtres indigènes, disposaient de l’influence et des profits que donne le pouvoir. L’on comprend dès lors pourquoi l’insurrection devait trouver des encouragemens et des chefs parmi les membres du clergé indigène exclus des bénéfices et surtout parmi ces notables que l’Espagne ruinait en essayant, timidement et gauchement, de leur faire une part dans l’administration de leur pays.