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Le colonel Grenier à sa femme.


« Camp du Clocheton, 3 mai.

« Avant-hier, mon régiment a eu une glorieuse affaire. C’était la première fois qu’il se trouvait aux prises, corps à corps, avec les Russes. Il s’est conduit comme un vieux régiment, j’en suis tout fier. J’étais avec lui ; je n’ai eu qu’à le retenir au lieu de l’exciter. Voici l’affaire, une des meilleures qu’on ait eues, au siège, à cause des résultats :

Le 1er mai, à 8 heures du soir, six bataillons, avec le colonel et le lieutenant-colonel en tête, se rendaient à la tranchée pour enlever les embuscades russes, disposées en avant du bastion Central et s’y établir. On avait déjà exécuté des mouvemens analogues, mais en commettant la faute de détruire les embuscades et de se retirer ; en sorte que les Russes, le lendemain, rétablissaient ce qu’on leur avait démoli et, d’ordinaire, se fortifiaient mieux, afin d’éviter un nouvel échec.

A 9 heures, nous étions à nos postes ; mon régiment en arrière et comme soutien de la légion étrangère. Au signal, le colonel Viénot s’est précipité, avec ses légionnaires, sur les embuscades et s’en est emparé sans coup férir, bien qu’elles fussent reliées entre elles, rattachées à la place et qu’elles constituassent une vraie forteresse, menaçante pour nos attaques. Aussitôt la légion partie en avant, mon régiment recevait l’ordre de l’appuyer, d’escalader les tranchées et d’aller, au pas de course, se placer à gauche de la légion, dans les carrières, pour couvrir son flanc.

Le mouvement s’exécuta avec un élan et un entrain qui faisaient plaisir à voir. Le 4e léger a abordé la position à la baïonnette, sans tirer un seul coup de fusil, et s’est maintenu à sa place, pendant toute la nuit, sous un terrible feu d’artillerie et de mousqueterie.

Pendant ce temps, les travailleurs placés dans l’ouvrage que les Russes venaient de perdre retournaient leurs travaux contre eux afin de se protéger et, à l’abri du feu de notre infanterie, ils terminaient ce travail avant le jour.

Tout a parfaitement réussi. Le lendemain, deux bataillons du 46e, abrités dans ces nouveaux boyaux, à quelques mètres de la place, conservaient, malgré une vigoureuse sortie des Russes,