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le terrain conquis. C’est une des plus belles journées du siège et nos généraux sont ravis. Tout cela ne s’obtient pas sans pertes ; le brave colonel Viénot, de la légion, y a été tué ; mon régiment a eu dix-sept tués et soixante blessés, dont le lieutenant-colonel Hardy, frappé à la tête par un biscaïen. »


Félix Hardy à sa femme


4 mai.

« Quand je t’écrivais si gaiement avant-hier, j’ignorais complètement qu’il s’était passé aux attaques de gauche, dites du vieux siège, commandées par Pélissier, un événement de guerre important.

Je prenais, comme général de tranchée, les ordres de mon ami Mayran, qui commande en chef les attaques du Carénage, quand j’ai entendu dire que Pélissier avait fait enlever, pendant la nuit du 1er au 2 mai, une belle parallèle, construite par les Russes à 60 mètres des nôtres, en face du bastion Central. Elle était garnie de neuf mortiers de campagne, qui décimaient nos pauvres soldats.

La division de Salles, dont le 4e léger fait partie, a été chargée de cette mission délicate. Son succès complet a dédommagé l’armée des trois cents hommes tués ou blessés qu’elle a eus dans cette brillante affaire.

Le colonel Viénot, commandant le 1er régiment de la légion étrangère, et le commandant Julien, du 46e, ont été tués en abordant la parallèle ; plusieurs officiers sont blessés.

Devant moi, on ne donnait pas les noms. Je te laisse à penser dans quelle inquiétude j’étais, car le 4e léger assistait, en première ligne, à ce rude combat ! Je demandais des renseignemens ; personne ne pouvait m’en donner de positifs, et cependant je voyais une grande tristesse sur certains visages, qui, d’ordinaire, s’épanouissent en me voyant.

A peine arrivé au dépôt de tranchée du Carénage, je recevais un petit billet au crayon de Victor, où il m’annonçait qu’il avait été blessé à la tête, mais que, d’après l’avis des médecins, son état n’avait rien d’alarmant. Ce bon frère me rassurait de son mieux et m’appelait auprès de lui le plus tôt possible.