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par paresse ou par toute autre raison inexcusable. Le Vanitas vanitatum apparaît alors comme la plus éclatante des vérités ! »


« 7 mai.

« Aujourd’hui, Canrobert a visité quelques camps. En passant dans le mien, au moment où la musique jouait devant mon drapeau, très coquettement installé vis-à-vis de ma tente, il m’a serré la main, m’a fait compliment de ce qu’il voyait et m’a dit bien haut :

Tout est donc beau et bon dans votre régiment, mon cher colonel !

Voilà où j’en suis avec mes généraux ; je serais un ingrat si je me plaignais !

Notre rude service continue ; nous perdons quelques hommes par-ci par-là. Un brave capitaine de mon régiment, Patasson, a été assez grièvement blessé, ce matin, par une balle ; c’est la fatalité de la guerre ! »


« Au camp du moulin d’Inkermann, 12 mai.

« Les Russes ont attaqué les parallèles des Anglais dans notre voisinage, mais ils ont été repoussés durement ; ils ont perdu beaucoup de monde dans cette attaque.

La pluie, qui tombe à flots depuis quarante-huit heures, rend le séjour de la tranchée bien pénible. Heureusement, mon tour de garde n’était pas arrivé pendant cette tourmente, à laquelle un beau soleil a succédé.

Nos petites semailles (pois, haricots, salades, radis, oignons et choux) se sont bien trouvées de ce déluge, ainsi que le gazon des plates-bandes. Notre petit camp a un très agréable aspect au milieu du terrain pierreux que nous occupons en arrière du camp des Anglais.

Une tente turque me sert de chambre à coucher ; une grande tente française, de bureau ; une autre, de salle à manger. Notre cuisine, entourée d’un bon mur, est couverte en planches que j’ai raccrochées un peu partout.

Nous avons de bonnes tables dans nos tentes. Je dors comme un bienheureux sur mon petit lit de campagne ; ma peau de mouton me tient lieu de matelas ; j’ai une paire de draps de coton et je me couche déshabillé comme un rentier.