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mais ce vilain siège est bien abrutissant ! Enfin, il faut s’en rapporter à la bonté de Dieu !

Ce matin, je sommeillais en attendant l’heure du lever, quand j’ai rêvé que tu m’attendais sur une place d’Uzès avec nos enfans. Je vous ai vus, bien vus, tous les quatre et embrassés avec une joie indicible ! Hélas ! ce rêve, doux et bienfaisant, a été brusquement interrompu par un coup de canon que les Anglais envoyaient à la tour Malakoff.

Vite, je me suis levé pour vous écrire sous l’impression de cette joie inespérée !

Non, il n’est pas possible que je sois privé du bonheur de vous revoir un jour, ne serait-ce que le temps de vous embrasser et de vous dire, de vive voix, tout ce que mon cœur contient d’amour pour vous ! »


II. — PÉLISSIER, GÉNÉRAL EN CHEF (19 MAI)

Le 19 mai, la lecture de deux ordres du grand quartier général stupéfiait l’armée d’Orient. Canrobert avait signé le premier[1], où il annonçait qu’il remettait le commandement à Pélissier. Dans le second[2], Pélissier disait :

« Avec l’aide de Dieu, nous vaincrons ! »

  1. « Soldats !
    Le général Pélissier, commandant le 1er corps, prend, à dater de ce jour, le commandement en chef de l’armée d’Orient. L’Empereur, en mettant à votre tête un général habitué aux grands commandemens, vieilli dans la guerre et dans les camps, a voulu vous donner une nouvelle preuve de sa sollicitude et préparer encore davantage les succès qui attendent sous peu, croyez-le bien, votre énergique persévérance.
    En descendant de la position élevée où les circonstances et la volonté du Souverain m’avaient placé et où vous m’avez soutenu, au milieu des plus rudes épreuves, par vos vertus guerrières et ce dévouement confiant dont vous n’avez cessé de m’honorer, je ne me sépare pas de vous. Le bonheur de partager de plus près vos glorieuses fatigues, vos nobles travaux, m’a été accordé, et c’est encore ensemble que, sous l’habile et ferme direction du nouveau général en chef, nous continuerons à combattre pour la France et pour l’Empereur.
    CANROBERT. »
  2. « Soldats !
    Notre ancien général en chef vous a fait connaître la volonté de l’Empereur, qui, sur sa demande, m’a placé à la tête de l’armée d’Orient. En recevant de l’Empereur le commandement de cette armée, exercée si longtemps par de si nobles mains, je suis certain d’être l’interprète de tous en proclamant que le général Canrobert emporte tous nos regrets et toute notre reconnaissance.
    Aux brillans souvenirs de l’Aima et d’Inkermann, il a ajouté le mérite, plus grand encore peut-être, d’avoir conservé à notre souverain et à notre pays, dans une formidable campagne d’hiver, une des plus belles armées qu’ait eues la France. C’est à lui que vous devez d’être en mesure d’engager à fond la lutte et de triompher. Si, comme j’en suis certain, le succès couronne nos efforts, vous saurez mêler son nom à vos cris de victoire. Il a voulu rester dans nos rangs et, bien qu’il put prendre un commandement plus élevé, il n’a voulu qu’une chose, se mettre à la tête de sa vieille division. J’ai déféré aux instances, aux inflexibles désirs de celui qui était naguère notre chef et sera toujours mon ami.
    Soldats, ma confiance en vous est entière. Après tant d’épreuves, tant d’efforts généreux, rien ne saurait étonner votre courage. Vous savez tous ce qu’attendent de vous l’Empereur et la Patrie ; soyez ce que vous avez été jusqu’ici et, grâce à votre énergie, au concours de nos intrépides alliés, des braves marins de nos escadres et avec l’aide de Dieu, nous vaincrons.
    PELISSIER. »