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du mystère et du silence. De ces spacieuses solitudes, rien n’émerge que les deux tours féodales d’Andlau, rien n’étincelle que l’étroite prairie sur le ballon près du Spesbourg. Ni la peinture ni les mots ne peuvent rendre les fortes et sereines articulations d’un immense paysage sévère ; il y faudrait une musique épurée de sensualisme. Dans cette harmonie d’or cendré, sur du vert, mon âme écoute un plain-chant dont le sens s’augmente à mesure que je m’y prête.

Quand le soleil en s’inclinant jette ses moires, de l’Ouest à l’Est, sur les montagnes qui s’abaissent vers la plaine, on voit se lever de celle-ci des centaines de fumées produites par des fanes qu’on brûle. Et à l’opposé, vers l’Ouest, dans le haut du ciel d’où descendent les montagnes, apparaissent de grandes taches ardentes, car c’est l’heure du couchant.


J’ai parcouru indéfiniment le domaine de Sainte-Odile et ses alentours. Les interminables sentiers serpentent roses sous les sapins qui leur font un toit vert. Pendant des heures, je montais, je descendais, parfois je m’égarais, sans rencontrer de bruit, ni de passant, ni aucune singularité. La profonde colonnade des sapins assombrissait les pentes. Il n’y avait pour rompre la symétrie que des roches écorchant le sol, çà et là, et couvertes de mousses verdâtres. Les jours de soleil, la forêt sentait les mûres et, si grave toujours, avait de la jeunesse. J’y trouvai plus souvent des semaines de tempête. Le vent, brisé sur les arbres, ne se faisait connaître que par son gémissement. En vain l’eau ruisselait-elle, j’allais avec légèreté sur ce sol sablonneux et que feutrent les aiguilles accumulées.

Par de telles journées pluvieuses d’octobre, vers quatre ou cinq heures, c’est un mortel plaisir de chercher, de trouver le château romantique par excellence, le Hagelschloss. A l’extrémité du plateau et sur le mur païen, il se débat, comme un assassiné, parmi les sapins qui l’étouffent. Depuis la ténébreuse vallée qui gît à ses pieds, il apparaît, magnifique de force, de sauvagerie, ouvrant et dressant sur les roides rochers et sur ses propres décombres, un vaste porche où deux platanes et trois joyeux acacias étonnent. Les forestiers prétendent que leurs chiens sont attirés par des puissances invisibles dans les oubliettes du Hagelschloss. Par les temps brumeux, dit-on, des fantômes s’y montrent. J’assure, au moins, que du fumier de