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ses feuilles amoncelées s’exhale continûment une perfide influenza.


Jour par jour, à la fin d’octobre, Sainte-Odile se teinte. La coloration débute dans les vallées intérieures. Au pré de Truttenhausen quel enrichissement du spectacle ! Mais le brouillard, de semaine en semaine, sur ces couleurs, épaissit son empire. Parfois, après une pluie, on revoit des parties importantes de la montagne ; quelque chose de sa gloire, chaque fois, a disparu.

Pourtant contre l’obscur, le ténébreux hiver, je ne blasphémerai pas. Voici les troncs, le sol, les rochers. J’embrasse l’ensemble dans ce qu’il a de persistant. L’hiver élimine l’éphémère, met en vue les solidités. Cette Sainte-Odile de novembre, plus sévère, concise et dépouillée, semble vue par un froid vieillard. Les vieillards suppriment les particularités éphémères pour se resserrer sur la trame des siècles. Ils s’en tiennent aux masses éternelles, aux blocs sur quoi se fonde l’humanité. — Quand l’hiver dépouille ma montagne, je vois mieux les dolmens préceltiques, le castellum romain et les tours féodales, témoins quasi géologiques des momens dépassés de notre civilisation. Et puis, là-bas, sur l’horizon, une ligne épaisse de brouillards marque plus fortement le Rhin.


VI. — IL Y A UNE DISCIPLINE A DÉGAGER

Des dolmens et des menhirs, une puissante muraille druidique, un castellum romain, un couvent, des burgs moyen-âgeux, peuvent distraire, sans plus, des passans étrangers, mais si je suis un Alsacien, je dois savoir et sentir que cette noble montagne ne fut point ainsi surchargée pour qu’elle m’offrît des promenades et des thèmes de vague rêverie…

Continuellement, d’innombrables pèlerins d’Alsace et de Lorraine gravissent ces belles pentes, et depuis les antiques postes qui surveillent le Rhin, la plaine et les proches accès, devant les vestiges des fortifications de leurs ancêtres, ils éprouvent autre chose qu’une curiosité panoramique. Un dolmen, un burg ruiné amusent en tous lieux le regard. Mais, aux pentes de Sainte-Odile, une intelligence virile, avec ces pierres semées remonte la route des siècles. C’est un ensemble où la nature et