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l’histoire collaborent. Toutes les puissances de Sainte-Odile se fondent dans un chant ininterrompu.

Le chant de la montagne n’est pas d’abord plus précis qu’aucune autre musique. Il incite, échauffe nos idées, héroïse nos sentimens, nous monte d’un degré, mais ne formule rien. Stérile sublimité ! Ce qui vient d’émouvoir nos cœurs, nous ne saurions guère le dire et moins encore le traduire en activité. De cette haute minute, allons-nous retomber à notre dispersion, ou bien, contraignant nos âmes, saurons-nous les arracher aux attendrissemens diffus de la rêverie pour goûter une sévère précision ?


Un philosophe est venu à Sainte-Odile. M. Taine a connu ces délices de la solitude, de l’espace et de la solennité. Ses sentimens de vénération furent éveillés par ce paysage. Il les exprime dans une méditation, dans un examen de conscience, dans une prière fameuse.

« Du haut de ces terrasses, dit-il,… comme on se détache vite des choses humaines ! Comme l’âme rentre aisément dans sa patrie primitive, dans l’assemblée silencieuse des grandes formes, dans le peuple paisible des êtres qui ne pensent pas ! … Les choses sont divines et voilà pourquoi il faut concevoir des dieux pour exprimer les choses… Les premières religions ne sont qu’un langage exact, le cri involontaire d’une âme qui sent la sublimité et l’éternité des choses en même temps qu’elle perçoit leurs dehors… Quand nous dégageons notre fond intérieur enseveli sous la parole apprise, nous retrouvons involontairement les conceptions antiques, nous sentons flotter en nous les rêves du Véda, d’Hésiode ; nous murmurons quelqu’un de ces vers d’Eschyle où, derrière la légende humaine, on entrevoit la majesté des choses naturelles et le chœur universel des forêts, des fleuves et des mers. Alors, par degré, le travail qui s’est fait dans l’esprit des premiers hommes se fait dans le nôtre ; nous précisons et nous incorporons dans une force humaine cette force et cette fraîcheur des choses… Le mythe éclôt dans notre âme, et, si nous étions des poètes, il épanouirait en nous toute sa fleur. Nous aussi, nous verrions les figures grandioses qui, nées au second âge de la pensée humaine, gardent encore l’empreinte de la sensation originelle, les dieux parens des choses, un Apollon, une Pallas, une Diane, les générations de héros qui